Qu'ils rêvent de fuir le tumulte ou souhaitent prendre le temps de souffler, de partir se diluer dans la vapeur parfumée d'un spa délicieux, de se faire dorer sur des plages au sable fin, de respirer à pleins poumons l'air pur des Kroumirs ou de se divertir les pieds dans l'eau le long de la côte du Cap Bon, tout en veillant au rythme des festivals et des autres moments forts de l'animation nocturne qui règne dans cette région, les Algériens, nos voisins de toujours, répondent sans hésitation à l'appel de la destination Tunisie. Et dès que l'été pointe son nez, ce sont des cortèges de voitures portant la fameuse plaque d'immatriculation jaune et arborant avec orgueil et fierté le drapeau algérien qui sillonnent les artères des principales stations touristiques de notre pays. Cependant, méconnu, sous-estimé mais éminemment précieux, le marché algérien continue d'évoluer dans le chaos. Reportage sur un type de visiteur tant attendu et qui galvanise les habitants de toute une ville. En effet, la Tunisie est devenue depuis quelques années l'endroit le plus convoité par les estivants algériens. Notre pays a su comment gagner le cœur des Algériens qui, depuis des années, arrivent par milliers. Ce flux touristique aux allures socioéconomiques est devenu ces dernières années une véritable caverne d'Ali Baba pour l'économie tunisienne en général et un filon assez juteux pour les commerçants et les populations des villes comme Nabeul, Hammamet et Sousse : principales destinations du touriste algérien. 90% des touristes algériens préfèrent les villas et les résidences meublées Si les descendants de l'Emir Abdelkader, dans notre région, enfilent bien la casaque du « globe-trotter», leur destination préférée n'est autre que la Tunisie. En effet, selon des statistiques officielles algériennes, 2 Algériens sur 5 voyagent chaque année et 90% des touristes algériens visitent notre pays via le réseau routier. En revanche, 50% des visiteurs viennent pour des soins, 40% pour passer les vacances et 10% pour des affaires. Par ailleurs, 90% des touristes algériens préfèrent loger dans des villas et des résidences meublées et 10 à 20% seulement optent pour les hôtels. A partir de ce constat, plusieurs familles ont pris l'habitude de louer leurs maisons et des apparts aux Algériens comme c'est le cas de M. Salah M.qui nous confie que « depuis 1999, je loue ma maison à une famille algérienne. Ainsi, chaque année, la famille Zaïani d'Oran m'appelle par téléphone une ou deux semaines avant le 15 juillet pour confirmer leur arrivée et pour qu'on puisse aménager au mieux les lieux». Mais « pour cette année, vu que la Ramadan dressera son chapiteau à partir de la mi-août et que l'équipe nationale algérienne vient de participer aux phases finales de la Coupe du monde, nos fidèles locataires nous ont informés d'avance qu'ils allaient venir le 8 août pour passer l'intégralité du mois de Ramadan chez nous. De ce fait, on a commencé à effectuer quelques aménagements spécifiques dans la cuisine et son matériel (des marmites neuves, un nouveau réfrigérateur, entretien des fourneaux, des couverts, etc.) pour que nos visiteurs puissent passer le mois du jeûne dans d'excellentes conditions‑», nous a livré, d'un ton quiet, le propriétaire de ce logement avec vue sur mer. Cependant, pour pallier cette conjoncture quelque part défavorable à la location, M. Salah avoue avoir entre-temps contacté un intermédiaire immobilier « pour nous dénicher une famille algérienne et occuper les lieux entre le 1er juillet et le 6 août‑». Un autre propriétaire de deux appartements, M. Ali R., a attesté que «‑d'habitude, les touristes algériens débarquent chez nous à partir de la deuxième quinzaine du mois de juillet. Mais vu que le mois de Ramadan débutera à partir de la deuxième quinzaine d'août, plusieurs Algériens ont commencé à venir. Certes, la plupart de ceux qui viennent d'arriver sous nos cieux sont dans leur majorité des célibataires. Par exemple, mes deux appartements ont été loués cette année pour une durée d'un mois à 7 jeunes Algériens qui sont venus passer leurs vacances et savourer l'ambiance festive d'Hammamet by night et ses night-clubs‑». Le touriste algérien : le chou gras des samsaras Avec une ambiance calme et un climat doux, vu sa proximité de la capitale (à 60‑km : 45 minutes de trajet) et d'Hammamet (seulement 14 km), la ville de Nabeul cristallise la convoitise chez nos voisins algériens. Mais quand on parle de touristes algériens, on ne peut passer sans parler des samsaras (les intermédiaires immobiliers). En effet, avec des maisons louées en moyenne entre 1.000 et 2.500 dinars le mois, tout un réseau d'agents immobiliers a pris place dans la région du Cap Bon. Il suffit de vadrouiller en voiture dans les rues et les avenues d'Hammamet pour vous convaincre de la place qu'occupe ce genre de business dans le paysage social de ces deux villes. D'ailleurs, il n'est pas rare que vous soyez interpellés par des affiches collées aux murs signalant des maisons à louer ou que des jeunes rabatteurs qui cherchent à attirer l'attention d'un éventuel vacancier algérien à la recherche d'un local à louer vous colle à la semelle. Ces jeunes gens, qui la jouent très discret pour éviter les ennuis avec la police, s'équipent d'habitude en pancartes pliantes en carton sur lesquelles est écrit : « 1,2,3…Viva l'Algérie, maison à louer » ou tout simplement « Maison à louer », etc. Bracelet en tresses noires avec des fétiches représentant le drapeau algérien, lunettes de soleil noires et un GSM toujours à la main, Ahmed, un jeune « samsar », spécialisé dans la clientèle algérienne, nous a déclaré : « ça fait 5 ans que je fais ce boulot. Je joue le rôle de l'intermédiaire entre le vacancier algérien et les propriétaires des maisons et je touche 10% sur le montant global du loyer mensuel pour chaque acte de location. Ainsi, chaque jour j'arpente les rues et les avenues de Nabeul à la recherche de l'oiseau rare. La plupart du temps, j'occupe une position stratégique pour guetter les voitures. Et grâce aux plaques d'immatriculation où l'on peut lire le numéro de la « Wilaya » d'où vient ce touriste algérien, on peut évaluer le pouvoir d'achat et le profil social du touriste. Par exemple : le 19 c'est pour Sétif, une ville connue pour ses commerçants et son souk de Dubaï, le 9 (Blida) et le 12 (Tébessa), toutes deux connues pour leurs commerçants, le 16 (Alger) et le 13 (Tlemcen), deux villes de la bourgeoisie algérienne, etc. ». N'empêche, les techniques d'abordage diffèrent et les plus rusés des intermédiaires fourbissent leurs armes commerciales pendant cette saison, à l'instar de ce jeune «‑samsar‑» du nom d'Ali qui nous révèle qu'entre les «‑agents immobiliers, chacun connaît son territoire et respecte celui de l'autre. Concernant les tarifs proposés, les loyers sont comptabilisés par nuitée. Cette dernière varie selon le standing du local mais en général ça varie entre 30 et 300 dinars. Notre activité, qui reste saisonnière, s'étale sur deux périodes : les mois de juillet et août (la haute saison) et la deuxième quinzaine du mois de décembre (la moyenne saison) où plusieurs Algériens viennent chez nous pour passer les fêtes de fin d'année‑». S'exprimant sur la nature de la clientèle, il explique que «‑la majeure partie des familles algériennes qui ont recours à mes services sont des anciens clients ou des proches d'anciens clients. En effet, la fidélisation est un atout majeur dans le bon fonctionnement de notre job. Plusieurs clients me connaissent par le biais du téléphone arabe et me passent des coups de fil d'avance de l'Algérie pour réserver. Cette année, plusieurs familles m'ont confirmé qu'elles allaient passer le Ramadan en Tunisie. De ce fait, du côté des propriétaires, le produit proposé va être différent des autres années où la cuisine et le confort vont être un atout majeur pour augmenter ses chances de louer sa demeure». Les petits commerces trouvent leur compte Du point de vue économique, la ville de Nabeul, à l'image d'autres villes touristiques, connaît, avec l'arrivée des Algériens pendant la période estivale, un dynamisme bien particulier. Ainsi, les petits commerces, les magasins, les supérettes, les épiciers, le marché, le souk local, les échoppes d'artisanat, les hôtels de ville, les restaurants voient leur chiffre d'affaires boosté par une activité commerciale qui reprend de sa superbe. Ammi Arbi Jazi, artisan potier à Nabeul, assis à même la terre, devant une boîte en plastique jaune dont il se sert en guise de table, bien qu'occupé à modeler un bibelot en argile en forme de dromadaire, nous révèle que «‑personne ne peut douter de l'impact des achats effectués par les touristes algériens sur notre activité. Grâce à leur pouvoir d'achat, ils nous permettent de sauver la saison. Le client algérien est un bon consommateur‑». Décidément, l'avènement des touristes algériens reste par excellence une véritable bouffée d'oxygène pour les habitants de la ville de Nabeul. Avec une saison touristique qui tarde à prendre de l'élan et un marché touristique dominé ces dernières années par les vacanciers des pays de l'Europe de l'Est à faible pouvoir d'achat, le touriste algérien a bel et bien remplacé le touriste allemand qui faisait les beaux jours du tourisme de masse dans les années 70 et 80 du côté de Nabeul et Hammamet. Cet échange tuniso-algérien nous laisse croire que le tourisme maghrébin peut devenir un grand moteur économique et un levier de développement dans toute la région. Il est donc imprudent de négliger les attentes de nos voisins voyageurs et de continuer de se suffire de cet élan de développement spontané de ces marchés.