La Tunisie mise beaucoup sur les performances de ses ressources humaines et de leur savoir-faire pour améliorer le positionnement des articles produits en Tunisie sur le marché international. Car ces ratios influent sur le coût et, par conséquent, la position par rapport aux concurrents dans un marché qui n'est pas du tout clément. D'ailleurs, ce challenge ne se limite pas au secteur privé et à la productivité dans les entreprises, l'attrait de la Tunisie auprès des investissements Directs Etrangers dépendant, également, de l'environnement des affaires et des performances dans l'administration publique. Ce qui fait que la question de la productivité se pose en Tunisie de manière récurrente. Elle va de pair avec l'essor de la croissance et de celui du revenu moyen du Tunisien. Ce challenge a engendré, d'une part, le réveil du secteur public qui cherche, désormais, à normaliser la valeur-travail et à faire assimiler aux employés qu'ils ne sont pas payés pour leur présence mais, plutôt, pour ce qu'ils ont produit. Et, d'autre part, un large débat sur la question d'aménagement du temps de travail. Lequel temps de travail suscite des interrogations dans les sphères de production qui ont des appréhensions à l'avènement de l'été et du mois de Ramadan, généralement synonymes de baisse de production. Car, cela suppose des après-midi entièrement chômées à l'échelle nationale dans le secteur public principalement- et un rendement de travail divisé par On n'ose pas avancer de chiffre tant les effets de la léthargie estivale et ramadanesque seraient généralisées et ravageuses. Il faudra ajouter à ces deux périodes de « plein régime » les départs en congé dont personne n'en discute la légitimité. Seulement beaucoup d'employés préfèrent prendre leurs congés en période de double séance. Au plan des heures de travail réelles, ils ne peuvent qu'être «gagnants» en temps libre bien sûr ! D'ailleurs, plusieurs entreprises privées et, même, publiques prennent des congés de fermeture et d'entretien technique en août de chaque année pour éviter une partie de ce passage à vide forcé par le régime horaire. En plus, la réduction des heures de travail pendant la période estivale n'encourage pas le citoyen à prendre son congé s'il a un projet personnel à réaliser exigeant de traiter avec l'administration publique. Il préfèrera retarder ses projets à une période où les chances d'être mieux servi par une administration fonctionnant toute la journée sont plus grandes. Cet aménagement du temps de travail n'encourage pas à obtenir le meilleur rendement possible de la part des employés car il comporte beaucoup de cassures de rythme qui ne facilite guère les conditions d'une bonne productivité. Et si le problème ne se pose pas dans une petite ville ou un village, les distances étant courtes, dans les grandes villes et les concentrations urbaines peu fournies en moyens de transport, les budgets temps et coût des déplacements peuvent être exorbitants. Lorsqu'une bonne partie de l'énergie des employés est dépensé dans les déplacements et leurs tracasseries, que leur sérénité est entamée par les soucis du quotidien, la productivité du travail s'en trouve réduite en conséquence. Néanmoins, la consommation d'électricité, de chauffage, de téléphone supportée par l'administration pendant les heures d'ouverture des bureaux reste entière et sans «retour sur investissement». Cette organisation dichotomique des horaires de travail n'est pas sans générer un coût économique et social lourd. Economiquement, on a évoqué la réduction des rendements et les retards dans la gestion des affaires qu'occasionne l'horaire estival. Il faudra y ajouter les coûts de transport que supportent les ménages durant l'année scolaire organisée en double séance et toute la période hors juillet-août. Les coûts sociaux sont énormes, lorsque les enfants et les parents rentrent tard le soir parce qu'ils ont gaspillé leur temps libre en déplacements, lorsque les enfants n'ont pas le temps de jouer et de vivre leur enfance, lorsque les parents épuisés par une journée de travail beaucoup trop longue ne peuvent plus se consacrer sereinement à une vie familiale et renoncent à une vie culturelle et de loisirs qui exige d'autres déplacements. Il y a aussi le coût généré par la pollution des embouteillages dans les concentrations urbaines quatre fois par jour de travail en double séance. Un autre coût social insidieux et moins visible est à relever. C'est celui du freinage de la modernisation de la société qu'occasionne une telle organisation du temps de travail. La Tunisie est un pays connu à travers le monde par sa politique franchement engagée dans la modernisation de la société et l'émancipation de la femme. Cette politique présente plusieurs facettes dont l'investissement dans la culture, les loisirs et la protection de la famille. Si l'on prend le premier volet, la consommation des produits culturels et leur création, nécessitent un budget temps qui, s'il n'est pas gagné sur le «futile», le sera sur «l'utile». Ce qui est futile c'est le gaspillage du temps en déplacements et en attentes, ce qui est utile c'est le travail. Si en cette période, économiquement critique car chargée de bouleversements de toutes sortes, le citoyen doit travailler mieux et plus, il faudra réduire au maximum les gaspillages de temps et favoriser les opportunités pour l'information, la formation, le débat et la culture. A ce stade de développement de notre pays, une cohérence s'impose entre un mode d'organisation du travail, d'une part, la nouvelle politique de la famille orientée vers la parité entre hommes et femmes, celle d'une plus grande présence dans la vie publique, et celle qui encourage la formation, la culture et les loisirs, d'autre part. L'aménagement du temps de travail aussi bien dans l'administration publique que dans les écoles apparaît comme l'instrument qui s'impose pour réaliser cette cohérence. Les formules sont nombreuses et peuvent être combinées : la flexibilité des horaires de travail avec une plage fixe et des plages aménagées en fonction des contraintes individuelles, la séance de travail continue avec une rupture courte en milieu de séance, le travail à distance pour certaines activités qui s'y prêtent et diverses combinaisons de ces différentes formules. Certes, en Tunisie, il y a une certaine confusion entre séance unique et séance continue et une crainte de réduction excessive du temps de travail. Mais si dans la majorité des pays du monde, la formule de séance continue est en vigueur, cela n'implique nullement la réduction des heures travaillées. Malheureusement en Tunisie on est resté sur les résultats jugés mauvais d'une expérimentation de la séance continue il y a quelques années à Tunis et qui n'a duré que quelques mois. Toutefois, il est vrai que l'instauration de la séance continue, sans suffisamment de précautions, risque de produire des effets pervers. Compte tenu de la nécessité de rationaliser l'aménagement du temps de travail pour l'adapter aux orientations politiques d'avant garde adoptées par l'Etat tunisien et afin d'éviter le maximum d'effets pervers des réformes envisageables, il est important de conduire une étude préalable. Vu la multiplicité des enjeux, cette étude devra nécessairement être pluridisciplinaire. Elle devra porter sur les implications socio-économiques (création d'emplois et productivité du travail, infrastructures d'accompagnement à mettre en place, coût du transport), les implications sanitaires (santé psychique et physique ou au contraire morbidité liée au budget temps des individus et des familles, risques liés aux déplacements scolaires et professionnels), juridiques (détournements éventuels de la réforme à des fins non productives et de travail illicite) et autres effets souhaités ou, au contraire, indésirables. Le modèle tunisien nécessite maintenant une remise en pendules des horaires de travail à l'heure des meilleures expériences observées dans le monde. Cela ne peut que renforcer la productivité et l'efficacité du travail en Tunisie. Mounir Ben Mahmoud