Hédi Djiliani, charismatique patron des patrons tunisiens, a entamé hier ce qui a tout l'air d'une campagne électorale en vue du scrutin qui aura lieu en juin prochain. Soit plus de neuf mois avant le jour j, prévu pour le 22 juin 2011. Son entrée en la matière s'est effectuée sous forme d'interview accordée à Leaders, dans laquelle on ne parle quasiment que de son bilan et de son programme. Elle devrait surprendre plus d'un et, notamment, ses éventuels outsiders. Si les Tunisiens ont la réputation de tout faire pour tuer le temps, il en est tout à fait autrement pour leurs patrons qui font tout pour ne pas perdre un jour. La rentrée d'après aïd et vacances estivales était pour lundi 13 septembre 2010 et c'est ce jour que Hédi Djilani, président de l'Union Tunisienne pour l'Industrie, le Commerce et l'Artisanat (patronat tunisien) a choisi pour faire son entrée en la matière et annoncer, de la manière la plus implicite et la plus subtile, le démarrage de la campagne électorale de la centrale patronale. Une campagne dans laquelle il sera présent ou, pour être exact, ne sera pas absent. Dans cette interview, le choix des mots sera pesé. Bien pesé. Hédi Djilani a le chic de ne jamais passer inaperçu. Par sa carrure d'abord, par son charisme ensuite. Ses yeux bleus séduisants et son sempiternel sourire feront le reste. Issu de la grande bourgeoisie, il ajoutera à l'ensemble cette finesse que seuls les Tunisois pur jus connaissent. Comment cela ? Par ses choix dont on doute fort qu'ils soient fortuits. En vieux routier de la chose électorale, cet élu du Parlement sait parfaitement quand est-ce que les campagnes doivent commencer. Et pour annoncer l'ouverture du bal électoral, Hédi Djilani s'est éloigné des sentiers battus et a opté pour la modernité en accordant son interview à un journal électronique, genre aujourd'hui des plus lus (sinon le plus lu) par les patrons tunisiens. Allant davantage dans le détail, Hédi Djilani choisira un support qui le présente, implicitement, comme un leader. Et puis son intervieweur n'est pas n'importe qui. Taoufik Habaieb, le patron de Leaders est également le patron de TH Com, une boîte de communication réputée pour ses créations de marques à succès (parmi lesquelles Business News d'ailleurs) et slogans valorisants. Tout au long de l'interview indirecte, Hédi Djilani comptera sur l'intelligence de ses lecteurs pour comprendre les messages (subliminaux ?) glissés entre les lignes. Il ne dira jamais les choses directement. On doute, d'ailleurs, que ce soit un hasard que l'interview ait été effectuée en style indirect. Ainsi de sa propre candidature à ces élections. Officiellement la question n'est pas tranchée, ni dans un sens, ni dans l'autre. Officieusement, les lecteurs comprendront ce qu'ils désireront de ces phrases de Djilani : « «Ce n'est pas à moi de décider. C'est la situation qui dira qui est le mieux placé d'entre-nous pour être la meilleure interface possible de la base, du parti, du gouvernement Personnellement, je suis dans l'expectative, prêt à partir, prêt à repartir pour un nouveau mandat. J'ai toujours essayé d'être le meilleur représentant possible de l'Utica auprès du RCD et du gouvernement et aussi, en retour, le meilleur représentant du parti auprès de l'Utica. Et c'est ma grande satisfaction.» Précision utile, ce passage est au milieu d'un long texte qui s'apparente, à son début, à un bilan de mandat et, à sa fin, à un programme électoral en bonne et due forme. Quant au bilan, Hédi Djilani rappelle les acquis obtenus durant ses 22 ans : Consolidation des structures de l'Utica qui dispose d'un nouveau siège à son image, et de sièges régionaux tous en propriété, d'une organisation administrative et financière solide et transparente."L'ensemble est positif", précisera-t-il. Quant au programme, le patron des patrons en dresse des plus ambitieux. Pêle-mêle, il évoquera les capacités d'exportation des entreprises tunisiennes, la sécurité sociale, la productivité et la compétitivité, régénération, rajeunissement et parité féminine au sein de l'UTICA Le meilleur chapitre semble être celui de la gouvernance de la CNSS quand il dit : "Je n'ai pas l'impression que nous contribuons pleinement à la gestion de la Caisse. Il va falloir trouver la meilleure façon pour qu'on puisse s'y impliquer davantage. Aujourd'hui, les pratiques modernes de gouvernance des organismes, à l'instar de celles entreprises et institutions, créent de multiples opportunités de participation utiles et nous pouvons nous en inspirer." L'aspect politique n'est naturellement pas absent, ni du bilan, ni des perspectives. Le patron des patrons se dit exalté "d'avoir mis à profit cette période pour accompagner un leader exceptionnel, le Président Ben Ali, auquel je dédie toutes mes énergies, en espérant apporter ma modeste contribution à l'uvre accomplie et au travail d'équipe sous sa conduite". Il citera le Chef de l'Etat trois fois. A 62 ans, Hédi Djilani semble déterminé. Il aborde cette rentrée avec tact et intelligence en adoptant un style à la fois sobre et moderne. Il aura surtout été le premier à dégainer pour montrer que la rentrée 2010-2011 n'est pas une rentrée comme les autres. Une rentrée d'une année électorale de laquelle il ne faut pas perdre un jour. Parole de leader depuis 22 ans ! Nizar Bahloul