Première en Tunisie, une motion de destitution frappe le président de la République et une séance plénière est fixée pour ce mercredi 26 juin, pour en débattre. Moncef Marzouki suit, dans cet exercice démocratique nouveau, sa camarade du CPR, Sihem Badi, qui a subi cet « affront » le 16 avril dernier. L'humiliation infligée au président de la République est exceptionnelle, tout comme ce moment démocratique qui sera inscrit dans l'Histoire de ce pays. Que feront les députés ? Iront-ils jusqu'au bout ? Voteront-ils la destitution de Marzouki ? Dans les couloirs de l'ANC, c'est le suspense et tout dépendra, comme d'habitude, de la volonté des députés d'Ennahdha. On ne s'attend pas vraiment à ce que le président de la République soit destitué, vu le risque de la crise politique que va engendrer cette destitution, mais un coup de théâtre n'est pas à exclure totalement. En dépit de la piètre image qu'il dégage, et bien qu'il soit la risée d'une partie du peuple, Moncef Marzouki, lorsqu'il est sobre, est un véritable loup politique, biberonné au machiavélisme. Il mise sur le long terme et sait parfaitement à qui il a à faire. Il est parfaitement conscient de son image écornée et de sa popularité quasi-nulle. Il sait que les 18 mois passés à la présidence lui ont coûté cher et lui ont fait perdre des batailles, mais il estime qu'il n'a pas encore perdu la guerre et il lui reste encore quelques cartes à jouer. De cet exercice démocratique humiliant de mercredi prochain, il tient à sortir vainqueur. Reste à savoir comment il va procéder. Officiellement, la motion de destitution de Moncef Marzouki va porter sur ses déclarations incendiaires à l'étranger à l'encontre de l'opposition tunisienne. Mais vu que l'opposition n'a pas le poids nécessaire pour le destituer, le match va se jouer sur un autre terrain, celui du projet de Constitution. Son bras de fer n'est pas avec l'opposition, mais avec son « partenaire » Ennahdha qui défend un projet qui ne lui sied pas du tout. Qu'est-ce qui ne sied pas au CPR et à Marzouki dans le projet de constitution d'Ennahdha ? Ici aussi, il y a la version officielle et la version réelle. Officiellement, Marzouki et le CPR disent, ou vont dire, que cette constitution ne défend pas les libertés individuelles et fondamentales, qu'il y a un déséquilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif, que les dispositions transitoires sont nulles et non avenues, etc. Balivernes ! Durant ses 18 mois d'exercice, et contrairement à son parcours politique de militant, Moncef Marzouki n'a pas donné l'apparence d'un farouche défenseur des libertés, du Droit et de la Justice. Sous son mandat, on a libéré des criminels et on a mis en prison des innocents. Dans « son » palais de Carthage, il a reçu des obscurantistes et des voyous. Le fait que Marzouki défende de nouveau les libertés n'est donc qu'un stratagème politique pour sauver sa peau et obtenir la sympathie et l'appui de la gauche. Cette gauche tant dénigrée ces derniers mois et qualifiée, à un moment, d'extrémiste laïque. Ce qui préoccupe réellement Marzouki, ce sont ses prérogatives. Adnène Mansar, dans son analphabétisme communicationnel classique, l'a avoué en déclarant que si les prérogatives du président restent telles qu'elles sont dans la dernière mouture du projet de Constitution, Moncef Marzouki ne se présentera pas à la prochaine présidentielle. La démarche de Moncef Marzouki est identique à celle du couple Abbou. A défaut d'avoir pu s'entendre dans les coulisses avec Ennahdha, afin de continuer à obtenir ce qu'ils désirent comme dividendes, ils ont joué au bras de fer. Aussi bien Marzouki que les Abbou ont trop menti et trop trompé les Tunisiens pour que l'on puisse croire, maintenant, à leur sincérité. L'avenir politique de Moncef Marzouki est hypothétique. Les cartes qui lui restent en main ne sont pas nombreuses. Soit il accepte de continuer à être le pantin d'Ennahdha, soit il fait un coup d'éclat pour obtenir la sympathie de la masse populaire. Dans le premier cas, il suffit qu'il se déculotte devant son partenaire pour maintenir l'espoir d'être reconduit. Ce n'est pas gagné puisqu'Ennahdha ne veut plus de lui. Moncef Marzouki réfléchirait, actuellement, à la deuxième hypothèse, celle du coup d'éclat. Il a bien vu comment son ennemi Hammadi Jebali a brillamment réussi sa sortie et comment il est subitement monté dans les sondages. Du jour au lendemain, il est devenu présidentiable, juste parce qu'il a avoué ses erreurs et a refusé d'appliquer les directives de son parti. Que Moncef Marzouki soit tenté par cette voie ne serait pas étonnant. Il se démarquera d'Ennahdha, avoue l'échec de son rêve de mariage islamistes-laïcs et le tour est joué. Il estime qu'en resservant de nouveau ce discours rassembleur et unificateur, les Tunisiens seraient assez naïfs pour le croire. Après tout, ils ont bien applaudi Jebali, pourquoi pas lui ? Dans ce cas-là, sa stratégie est simple. Il redeviendra le Moncef Marzouki d'avant le 14-janvier, celui qui rassemble et défend jour et nuit les libertés et les Droits de l'Homme. Il lâchera ou fera taire sa branche islamiste et conservatrice pour coller davantage à celle centriste et de gauche. Deux de ses fidèles appartenant à cette dernière branche, à savoir Hédi Ben Abbès et Aziz Krichène, ont commencé la communication dans ce sens, ces derniers jours. Il a tenté lui-même de séduire les médias en les invitant la semaine dernière pour leur parler de libertés et leur jurer que son discours est sincère. En contrepartie, la branche islamiste conservatrice, représentée notamment par Imed Daïmi, s'est murée plus ou moins dans un silence. A l'exception de ‘'l'écarté'' Samir Ben Amor qui continue, lui, à user du discours de la division et de l'exclusion. Ennahdha, de son côté, poursuit son bras de fer. Le passage « humiliant » de la motion de censure s'inscrit dans cette ligne. Lâché et humilié publiquement par son partenaire, Moncef Marzouki jouera donc le tout pour le tout et multipliera les appels du pied à l'endroit de la gauche et des laïcs dans l'objectif de sauver sa peau et gagner du temps. Sauf miracle, il ne sera pas destitué pour autant ce mercredi et ce pour de multiples raisons. Mais il lui faudra une sacrée dose de machiavélisme pour espérer trouver, de nouveau, une popularité et sa belle image d'antan. Ce machiavélisme peut consister en une démission ou l'acceptation d'un limogeage humiliant pour paraître dans la peau de victime d'un régime qui ne veut pas des libertés. Exactement comme avant ! N.B. : Pensée à Sami Fehri et bien d'autres innocents, sous les verrous depuis des mois, en attente de leurs procès.