Par Soufiane BEN FARHAT Pourquoi les partis de la majorité gouvernementale s'étripent-ils à ce point ? Avant-hier, les élus d'Ennahdha et du CPR en sont presque venus aux mains. Un député nahdhaoui, faisant montre de dons de visionnaire autoproclamé ou d'illuminé invétéré, a déclaré à l'emporte-pièce : «Quoi que vous choisissiez, le régime parlementaire ou semi-présidentiel, le prochain président nahdahoui est déjà là». Un éminent élu CPR lui a rétorqué : «Où étiez-vous lorsque notre parti militait pour déboulonner le régime de Ben Ali ? Vous étiez tout au plus une quelconque association de prédicateurs se contentant de publier des communiqués». Visiblement, rien ne va plus au sein de la Troïka. Les séquelles de l'affaire de l'extradition de Baghdadi Mahmoudi, l'ex-Premier ministre libyen, sont particulièrement vivaces. Les gens du CPR savent qu'Ennahdha a lâché le président Marzouki. Le parti majoritaire de la coalition tripartite lui chercherait même un allié de substitution. Et qui vise Marzouki viserait son parti. Raison pour laquelle les élus du CPR refusent de céder au syndrome du diviser pour régner. La lassitude est aussi au rendez-vous. Dans ce ménage à trois (Ennahdha, CPR et Ettakatol), les relations à sens unique éreintent. Dans son dernier discours à la nation, le président Marzouki a utilisé un terme qui a fâché l'allié nahdhaoui. Il a parlé de la «force monstrueuse» (taghaouell), la puissance montante de l'ogre en d'autres termes. Le discours a été prononcé par le président à l'issue de son bras de fer avec le gouvernement nahdhaoui. Certes, dans cette confrontation, Marzouki semble avoir rendu le tablier. Mais son mot reste comme un dard increvable. Un carrefour de sens traduisant l'impuissance et le ressentiment. Mais aussi un slogan de ralliement. Et le message n'est guère tombé dans l'oreille d'un sourd. En fin de compte, en politique comme en quelconque joute, moyennant des coups bas à la bonne franquette, derrière les discours en trompe-l'œil, il y a la rivalité navrante des antagonismes, de la guerre de position, de l'instrumentalisation des alliés. Suffit-il de quelque bulle où l'on cale, de pomme de discorde apparente, pour que le coup de grisou se fasse entendre. En toile de fond, il y a bien évidemment les prochaines élections, législatives, présidentielles et municipales. Pour Ennahdha, il s'agit de façonner dès à présent les attributs de la pérennisation d'un pouvoir considéré à jamais dû. Pour d'autres protagonistes de l'opposition, il y a là risques et périls de phagocytose sans appel. Le débat constitutionnel est lui aussi un terrain miné par les préventions des uns et les desseins non avoués des autres. Les évolutions en Algérie et en Libye influencent les positionnements internes. En Algérie, les élections ont largement sanctionné les mouvances islamistes. En Libye, les libéraux semblent en passe de l'emporter, largement et haut la main. Le Printemps arabe retrouve tantôt l'élan et les espoirs des saveurs originelles. Un mouvement fondé sur les valeurs de liberté et de dignité. L'hiver, voire la glaciation identitaire et totalitaire sont battus en brèche. Ce n'est guère massif, mais les premières donnes autorisent de cultiver l'espoir et privilégier les nobles valeurs. Les Tunisiens se meuvent dans un environnement explosif. Il est marqué du sceau des redéploiements géostratégiques régionaux (Aqmi, Al Qaïda, Mali, Sahelistan...) et des tentations totalisantes et terroristes internes. Tout positionnement, toute alliance politique prennent cela en considération. C'est pourquoi, depuis peu, on remarque des fissures dans les édifices des alliances circonstancielles. Chacun revient chez lui en quelque sorte. Les libéraux regagnent leurs portiques et les totalitaires cèdent au chant des sirènes de leurs chapelles. Certes, il se trouvera toujours des Candide ou des passeurs appelés à jouer les victimes des illusions machiavéliques. Mais les armées battues sont généralement bien instruites. Aujourd'hui, en Tunisie, pays précurseur et porte-drapeau du Printemps arabe, les enjeux planétaires tissent leur sourde trame. La démocratie et la liberté vaincront. Sinon, encore une fois, la nuit et le brouillard.