Après une révolution qui nous a mis face à un nouveau vocabulaire, celui de la bravoure, du sacrifice, de l'honneur, du patriotisme et tant d'autres nobles valeurs, nous nous sommes trouvés confrontés, peu après l'euphorie, à un champ sémantique tout autre. Un vocabulaire qui en dit long sur la médiocrité qui gouverne et règne sur les états d'esprit. Que pouvions-nous, en effet, attendre d'une scène politique ayant pour champs lexical « chaussettes », « chaussures » et autres « chléka » éponyme ? Nous nous accrochons pourtant tant bien que mal. A coup de blagues et sobriquets, de « râlerie » virtuelleet de tweets, nous nous indignons. A coup de statuts facebook, nos gouvernants répliquent. Et l'échange se poursuit sur la toile pendant qu'une autre toile se tisse autour de nous, celle d'une misère à la fois sociale, idéologique et surtout économique. Le paradigme régnant depuis quelques mois est un paradigme bestiaire. Entre poulets, singes, et bêlements, nous sommes trainés comme des moutons de panurge derrière nos dirigeants-bergers, trainés eux-mêmes par l'illusion d'une bonne étoile qui tarde à se faire voir. Le malaise des citoyens est certain, mais leur grogne est à peine perceptible. Tirés à la chevrotine tels des lapins, menés à coup de bâtons ou appâtés au moyen de dons, avantages ou promesses, les Tunisiens, pourtant perspicaces et brailleurs, continueront à être les dindons de la farce. Et en matière de perspicacité, nos gouvernants ne sont pas mieux lotis que nous ! Ainsi, la vice-présidente de l'ANC avait poussé des cris d'indignation quant à une caricature évoquant « la république bananière » que nous serions devenus et la mettant côte à côte avec le Cameroun, pays face auquel une partie de football devait se tenir. Indigné par l'interprétation abusive que cette responsable de haut niveau a faite d'une œuvre à lectures multiples, le célèbre caricaturiste Lotfi Ben Sassi qui en est l'auteur, a su manier avec talent la plume et répliquer à celle qui l'a accusé à tort de racisme. Le buzz qu'a engendré cette réplique en dit long sur une bataille de coqs qui se tient entre intellectuels et politiciens de la deuxième vague, chacun menant derrière lui son troupeau de suiveurs et souteneurs plus ou moins éclairés (mais tous persuadés de l'être). Scandalisée par le lien entre négritude et république bananière, selon un raccourci honteux, Laâbidi est pourtant celle qui a désigné les forces de l'ordre de poulets, dans un parallèle incertain entre un « degré zéro » de la langue française et le prosaïsme de l'image. Malgré ses excuses, la vice-présidente de l'ANC verra le dossier relatif à cette maladresse verbale porté devant la justice.Traiter la police de poulets pourrait-il être condamnable ? Pourtant les traiter de singes ne l'a pas été ! Reléguée, en ce jour-même, par l'agence de notation Moody's, au rang des républiques bananières, non pas celles de notre éminent caricaturiste, mais les vraies, la Tunisie a vu sa note relative à la dette baisser d'un cran et sa réputation, sur la place financière, sérieusement corrompue. Mais à qui pourrions-nous nous plaindre de ceux qui nous rabaissent à un Ba3 dégradant? Une notation épousant parfaitement, par la sonorité, le sentiment et l'état d'esprit des pauvres ruminants que nous sommes devenus. Le côté animal des forces politiques aux commandes et en marge des commandes, féroce de l'un, docile de l'autre, aura mené le pays à sa perte, faisant pousser à son économie des cris de bête désœuvrée devant celui qui s'acharne à la tondre. Nos politiciens, opposants confirmés, mais gouvernants en herbe monteront à coup sûr sur leurs grands chevaux, crieront à l'injustice et tenteront de décrédibiliser agences de notation et forces colonialistes, capitalistes, avides de pouvoirs et haineuses des libertés postrévolutionnaires. Ils brailleront comme des paons déplumés au milieu d'une jungle sans roi où rôdent loups et renards, faucons et panda, poulets, singes et putois. Un paysage politique aux allures d'une fable de La Fontaine, mais une fable sans morale, de bêtes sans scrupules, à bord d'un Arche de Noé incertain.