Abdelkarim Ben Rhima* fut un éminent Professeur de l'Enseignement Supérieur à l'Ecole Nationale des Ingénieurs de Tunis (ENIT). Ce fut un homme de Sciences, mais il se définissait comme citoyen actif, très soucieux de l'avenir de notre pays. Peu d'entre nous, sur le forum de Business news, y compris moi-même, le connaissaient en personne. Mais il y a des moments de la vie que sanctionne cruellement la mort où l'être en chair est surtout présent par les traces écrites qu'il a laissées pour la postérité. Les corps se ressemblent au final, mais l'esprit est unique et chaque personne ne s'identifie qu'à elle-même. Pour Abdelkarim Ben Rhima, l'arme suprême est la plume, celle qui lui permet de poursuivre son combat, pour la liberté, pour la démocratie et pour la modernité. Par sa plume, aussi admirable que redoutable et incisive, il signifiait que par le détour du raisonnement, on pouvait changer les choses et obliger la classe politique à ajuster sa trajectoire en tenant compte des revendications des citoyens lambda que nous sommes. La profondeur de ses analyses et sa clairvoyance ont fait que ses commentaires sont toujours lus avec le plus grand intérêt. Il défendait l'idée qu'il était de notre devoir, de prendre notre destin en main, de limiter le pouvoir de la classe politique qui écrit seule les règles du jeu, sans offrir la possibilité aux citoyens de prendre part aux débats importants qui tracent l'avenir du pays. Il le disait avec d'autant plus de force que la nouvelle classe politique, celle qui est née des élections du 23 octobre 2011, a brillé par son incompétence et l'insignifiance de son théâtre tragi-comique. Au moment où les enjeux étaient de taille et mettaient en péril l'avenir de toute la communauté nationale, il fallait des personnes fortes comme Ben Rhima pour assumer la responsabilité en tant que citoyen et agir. Différents moyens peuvent être envisagés : on peut soit agir à l'intérieur des structures officielles telles que les partis ou tout simplement, agir en indépendants, par la création d'un rassemblement de personnes déterminées, des personnes ayant compris que la Tunisie avait besoin d'eux pour avancer et participer à l'édification d'une société démocratique. Un rassemblement impliquant la société civile sans dogmatisme, sans idéologie, mais avec obstination et pragmatisme. Il s'agissait de critiquer, dénoncer, empêcher, soutenir, ou désavouer une action. Le forum ouvert par BN, a donné une opportunité à une masse du peuple, d'habitude silencieuse, à s'exprimer et à faire entendre sa voix. En effet, chaque contributeur cherche à extérioriser un sentiment, une pensée, une idée à travers son commentaire. Abdelkarim Ben Rhima, avec son charisme, sa richesse intellectuelle et son intelligence, a réussi à encourager de plus en plus de lecteurs qui se sont impliqués chaque fois davantage et qui ont appris à exercer leur citoyenneté. Avec lui, nous avons appris ensemble à mener des débats, le plus souvent difficiles à cause de nos opinions divergentes, mais toujours conscients de l'importance du rôle de la société civile dans la construction de toute démocratie. Nous étions, et sommes toujours désormais, convaincus que la puissance de la voix populaire fera bouger l'immobilisme structurel que nous subissons. Sans l'union de citoyens lucides, actifs, décidés à faire bouger les choses, rien n'aurait changé et les citoyens auraient été condamnés à subir dans l'impuissance. Ce rassemblement a été rendu possible grâce à un espace de débat public, libre, mis à la disposition des citoyens par le journal électronique Business News, dont la ligne éditoriale sérieuse, à caractère républicain, démocratique et moderniste, a réussi à attirer un grand nombre de compétences qui ont œuvré en synergie pour débattre, proposer ou faire échouer des manœuvres inqualifiables (exemple du tollé provoqué par la société civile suite la publication du livre noir, les jugements sévères mais aussi stimulants des partis au pouvoir et de l' opposition, etc . .) Nous étions convaincus qu'il nous appartient, à chacun d'entre nous de prendre sa part de responsabilité et d'entrer en action. Seul notre engagement pourra changer les règles si nous voulons changer notre société. La politique est l'affaire de tous. Dans ce contexte, Abdelkarim Ben Rhima, défendait l'idée que seul un nouveau contrat social pourra sauver notre société et amener les changements de la société à moyen et à long terme. Le but est de rendre le peuple souverain, de l'engager à dépasser le sens de l'intérêt personnel pour suivre l'intérêt général. Grâce au contrat social, le peuple peut modifier les termes de ce contrat quand il veut, ce qui implique que toutes les structures de l'état tiennent leur pouvoir du peuple qui peut les leur ôter quand il le veut : en d'autres termes, le peuple est souverain. Cette idée lui semblait la plus appropriée et il me disait « Je mesure que par mes propos, certains bien intentionnés, tenteront de me faire tourner en bourrique tant ils les jugeront décalés de la réalité ou simplement par mauvaise foi! Mais qu'importe dès lors que j'y crois profondément, que j'estime avoir les moyens de la dialectique et que je suis certain de mon Engagement dans cette voie ». ABR, nous a quittés, mais ses écrits sont restés. Ils constituent une lanterne pour éclairer la voie et enrichir tous ceux qui sont avides de connaissances et de culture et disposés pour un véritable changement. D'autres hommes de valeur sont partis avant lui, aussi bien dans le milieu universitaire que dans la société civile, mais pour que l'œuvre de ces hommes, leurs réflexions novatrices, nous servent à avancer, nous avons le devoir de reprendre le flambeau, de continuer le combat là où ces hommes l'ont laissé, tout en étant convaincus comme Abdelkarim Ben Rhima, que l'implication du citoyen dans la vie politique au quotidien, son droit de regard est la meilleure garantie pour une démocratie pérenne. Certes, il ne fut pas le seul à avoir marqué de son empreinte des générations de citoyens et d'intellectuels. D'autres universitaires ont été de ce combat, même quand la disparition accuse le sentiment de manque, pour les familles d'abord, mais aussi pour tous ceux qui s'engagent à poursuivre l'œuvre salvatrice pour toute la Nation. Dans cette mission, Business News a pris sa part dans la création des conditions propices à l'émergence d'un nouvel état d'esprit, dans les différentes actions visant à honorer les hommes qui ont donné leur vie en martyrs de la Nation nouvelle. Il manquera quelque chose à cette éloge funèbre si on n'évoquerait pas l'appel à l'espoir, car lui aussi aurait aimé qu'il en fût ainsi. Les personnes meurent certes, mais renaissent vite quand ils ont laissé derrière eux la flamme de l'espoir. « Tant qu'il y a de la vie… », disait Abdelkarim Ben Rhima. Fatma Gharbi - Universitaire et commentatrice de Business News *Nous avons reçu cette lettre de la part de Mme Gharbi en hommage à notre fidèle commentateur Abdelkarim Ben Rhima décédé il y a peu. Toute l'équipe de Business News se joint à elle pour présenter ses sincères condoléances à la famille du défunt ainsi qu'à la communauté des commentateurs de Business News.