Les forces de l'ordre ont réussi deux jolis coups cette semaine en mettant hors d'état de nuire deux groupes terroristes richement armés en munitions et en équipements. Ils étaient cloîtrés dans des quartiers populaires du Grand Tunis, à quelques minutes de la zone touristique de Gammarth et de l'aéroport. Cela ne surprend personne, on savait bien que de Chaâmbi à Tunis il n'y avait qu'un pas. L'arrestation non confirmée d'Abou Iyadh, il y a quelques semaines, semble commencer à porter ses fruits. Cependant, la coordination, en termes d'efficacité, entre système sécuritaire et système judiciaire est désormais à l'épreuve. Reste maintenant à connaître la suite que va donner la justice à toutes ces arrestations. On ne le sait que trop, à plusieurs reprises les juges ont dû relâcher des personnes présentées comme des terroristes par les forces de l'ordre. On a vu des personnes s'attaquer à l'ambassade américaine et s'en tirer avec des peines assorties d'un sursis. On a arrêté des hommes portant le niqab qu'on a vu ensuite quitter le palais de justice tranquillement. Les syndicats des forces de sûreté ont crié au scandale à plusieurs reprises, sans qu'ils ne soient démentis par les magistrats. Y avait-il une pression politique sur ces juges pour élargir des personnes que les forces de l'ordre présentent comme des terroristes et jurent leurs grands dieux pour le faire ? L'Association des magistrats tunisiens a publié samedi dernier un communiqué alarmant. Elle signale que des juges chargés d'affaires de terrorisme subissent des agressions verbales et des menaces par des avocats. Un blogueur réputé publie sur sa page Facebook des appels clairs au lynchage des juges et continue à bénéficier d'une totale impunité, comme si on lui a déjà assuré son immunité. Et s'il n'y avait pas Mondher Thabet qui a porté plainte, on n'aurait peut-être jamais entendu parler de cette affaire, car aucun juge et aucune association des magistrats n'a voulu donner suite à ces menaces et à ces appels clairs au meurtre. Le type est condamné à six mois de prison, mais il ne recule pas pour autant. Il continue ses appels haineux contre Mondher Thabet et les juges et se permet même le luxe d'épingler l'une d'entre eux, Kalthoum Kennou, ancienne présidente de l'AMT. Le tout, en toute impunité. Un député, Samir Ben Amor de son nom et avocat de sa profession, épingle régulièrement les magistrats et remet en doute, en toute ironie, leur indépendance. Des membres des LPR qui menacent, insultent et défient leurs concitoyens, trainent des dizaines de plaintes, mais ne croulent sous aucune d'entre elles. Avant même qu'ils ne soient arrêtés, ils savent qu'ils vont être libérés et ils ne s'en cachent pas. Ils rencontrent des ministres et se font financer, en toute opacité, par l'argent public, ils se croient au dessus de la loi et des magistrats. Deux conseillers du président du président de la République qui ignorent totalement les convocations d'un juge d'instruction. Des députés accusés de corruption par un chef de parti (Bahri Jelassi), qui opposent un simple mépris à la convocation officielle du procureur de la République. On en est là aujourd'hui ! Les magistrats sont ignorés, snobés, méprisés. Ils sont menacés, insultés, dénigrés nommément et ils continuent à se taire. Ils donnent l'impression de ne plus savoir quoi faire et sont obligés de recourir à leur association pour recouvrer leurs droits ! Il n'y va pas de leur personne seulement, il y va du prestige de l'Etat, voire de la pérennité de la République. Ils représentent le troisième pouvoir et leur pouvoir est remis en cause par des tartempions opportunistes qui viennent de débarquer sur la scène politique. Pourquoi un terroriste devrait-il avoir peur s'il est assuré de sa liberté une fois qu'il est présenté devant un juge ? Et pourquoi les forces de l'ordre continuent-elles à risquer leur vie, si leurs efforts sont anéantis au palais de Justice ? Et pourquoi un fou furieux arrêtera-t-il ses insultes et menaces s'il se sait protégé en haut lieu par un député ou un parti au pouvoir ? Les magistrats ont une chance historique de décrocher leur liberté et leur indépendance. Qu'ils appliquent la plus grande devise de ce pays, celle inscrite dans la constitution et dans l'emblème de la République : primauté à la loi, primauté à la justice ! Que les magistrats traitent tous les citoyens à pied d'égalité quel que soit le nom du justiciable en face d'eux. Qu'il soit ministre ayant financé des associations terroristes, un gendre ayant puisé dans l'argent public ou une star ayant défié la loi, ils n'ont pas à se soustraire à la machine judiciaire. Cela dépasse largement leur simple cas personnel. Il est impératif que l'ensemble des citoyens et ceux qui résident dans ce pays respectent les lois de la République. Et il est impératif que les hommes politiques et la société civile soutiennent ces magistrats, toujours seuls face à des terroristes de différents types. Nous sommes, en effet -notre justice en prime- confrontés à des problématiques qui nous sont nouvelles. L'enjeu est de taille car l'Etat de droit ne se construit pas à force de slogans et d'articles de loi, mais à travers la fermeté qui consiste à les faire respecter.