L'annonce par le gouvernement cette semaine que les salaires des fonctionnaires pour le mois d'avril ont été sauvés grâce à un emprunt a secoué les tunisiens. Mais ce n'est pas tant cette annonce qui a choqué, les Tunisiens savaient depuis longtemps que notre économie était dans un état de faiblesse extrême. Ce qui a heurté les esprits, c'est surtout le fait que le pays se trouve réellement aujourd'hui dans l'impasse, une impasse annoncée. Le dossier des salaires des fonctionnaires était donc, tout au plus, le bouton sur le nez que personne ne voulait voir et que tous tentaient de saupoudrer. Le miracle espéré par tous, certains publiquement, d'autres en cachette, n'a pas finalement eu lieu. Tant mieux. Le pays a besoin de se défaire d'une culture de la providence qui vient parfois du ciel, souvent d'un Etat dépensier et paternaliste. Voir les difficultés en face et gérer les problèmes d'une manière rationnelle ne peut que faire du bien au pays et le faire avancer dans le chemin de la modernité. On est agréablement surpris d'ailleurs, par l'intérêt que les Tunisiens ont manifesté à la question économique ces dernières semaines, une question rébarbative qui ne figurait pas sur le menu des discussions des Tunisiens hormis les lamentations d'usage sur la cherté de la vie. Les experts ont eux aussi redoublé de propositions et de plans de redressement et de sauvetage. Enumérer toutes ces propositions serait très long, mais des idées essentielles émergent parmi elles et méritent d'être relevées. La première idée est en rapport avec le travail et l'effort. En effet, il est évident aujourd'hui que les Tunisiens doivent reprendre sérieusement le travail, pas le travail qui garantit le salaire mais le travail sans calculs, par amour au pays, altruiste et sans tricheries. Le véritable crime du régime de Ben Ali n'était pas son totalitarisme, son népotisme ou son caractère mafieux mais c'est d'avoir sapé les fondements éthiques de la société et miner les valeurs de l'effort, du savoir et de la probité comme valeurs structurantes de notre société. Une nouvelle culture doit émerger au plus vite, une culture de l'effort. Les répercussions directes de cette nouvelle culture sur l'économie et le bien-être des Tunisiens seront immédiates. D'autres nations en Europe ou en Asie ont réussi leurs révolutions culturelles. Pourquoi pas nous ? La seconde concerne la nécessité de recourir à certains concepts comme le sacrifice, la solidarité et le partage. Dans les moments difficiles, ces concepts peuvent apporter un réconfort et donner des solutions immédiates. L'emprunt national obligataire concrétise cette idée de partage et de solidarité. Mais le sacrifice est le devoir de tous, pas seulement des plus démunis. Il faut arrêter de demander aux pauvres de faire des sacrifices alors que les plus nantis ne font aucun effort, ou ne donnent pas l'exemple à suivre. Les salaires exorbitants de certains responsables, surtout quand ils semblent injustifiés comme ceux des députés de l'ANC ou encore du président de la république, n'encouragent pas l'élan de solidarité des Tunisiens. L'Etat, dépensier à outrance doit aussi arrêter d'agir comme un état riche dans un pays pauvre. Les largesses accordées aux grands commis de l'état doivent cesser. Elles ne sont ni décentes, ni justifiées et encore moins acceptables. Quant à la troisième idée, elle acquiert un caractère économique et politique et concerne une réelle restructuration en profondeur de notre système économique. Il est évident que la réforme du schéma de développement nécessite plus de temps que ce dont le pays dispose actuellement pour sortir de la crise. En attendant, deux décisions urgentes doivent être prises : la réforme du système fiscal et la guerre contre le secteur informel. En effet, il n'est pas acceptable que tous les Tunisiens ne participent pas équitablement aux ressources de l'Etat et que certains, de plus en plus nombreux, certains à l'allure de contrebandiers et d'autres en cols blancs, gagnent beaucoup d'argent qu'ils ne déclarent pas tout en continuant de profiter des compensations et des services de l'Etat comme l'ensemble des citoyens honnêtes. En bref, la crise est réelle mais les idées ne manquent pas pour la dépasser, pourvu que la volonté existe. Dans ce cas, cette crise pourrait même être une bonne chose puisqu'elle aura permis au pays de prendre conscience de ses difficultés et de reprendre sa marche vers le développement et la modernité.