Entre la proposition de créer une agence gouvernementale pour les moustiques et celle de découper le drapeau national pour en faire des draps destinés aux plus démunis, on peut dire que l'équipe de choc de Habib Essid a été inspirée ces derniers jours. Cela faisait-il partie du programme de Nidaa Tounes, préparé par plus de 150 experts comme on déclarait à l'époque ? Rien n'est moins sûr. Entre temps, la situation sociale se détériore de jour en jour et les citoyens tunisiens sont de plus en plus victimes de la précarité et de la cherté de la vie.
Certes, ce gouvernement n'a même pas encore fini ses 100 premiers jours aux commandes du pays. Il a aussi été confronté à une forte pression sociale faite de grèves et de revendications dans plusieurs secteurs. Donc, on ne peut pas être trop exigeants avec ses ministres, quoi que… Mais il faut avouer que ce gouvernement est faible.
Dans les démocraties, les gouvernements fraîchement élus profitent de la période de grâce pour entamer les gros chantiers, pour mettre en route des réformes, parfois douloureuses. Le gouvernement de Habib Essid jouit d'une légitimité incontestable au regard des résultats du vote de confiance à l'ARP. Mais ce gouvernement n'a pas su en profiter.
Il serait éventuellement exagéré d'exiger des résultats visibles tout de suite. Mais on est quand même en droit de demander à voir une direction, à déceler une vision ou une stratégie. Quand on voit un ministre des Affaires étrangères faire de telles gaffes et une ministre du Tourisme qui veut découper un drapeau, on se trouve en droit d'avoir des doutes.
Les errements du gouvernement Essid ont un autre tort, qui n'est pas des moindres. Par son amateurisme, ce gouvernement donne raison à des personnes comme Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar. Quand l'ancien président de la République réclame l'organisation rapide des élections municipales puisque la Tunisie est sale, il ne peut qu'avoir raison. Surtout si le ministre de l'Environnement pense à créer une agence pour les moustiques et à installer des voiliers dans la sebkha du Sijoumi. Le comportement de ce gouvernement donne aussi raison à Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l'ANC quand il dit que l'équipe d'Essid n'a ni vision ni programme. Les faits donnent raison au secrétaire général d'Ettakatol. Le « père de la Constitution » est allé jusqu'à dire que Habib Essid était en fait un premier ministre et non pas un chef de gouvernement…
On est en droit de s'interroger sur les raisons de cette déliquescence gouvernementale. Et c'est là que les yeux se tournent vers Nidaa Tounes. En effet, le parti gagnant des élections n'est pas dans ses meilleures dispositions et les difficultés postélectorales s'éternisent. Cette faiblesse influence le rendement gouvernemental surtout face à une situation sociale explosive.
Pas un jour ne passe sans grève et sans contestation. Le gouvernement n'a rien à offrir pour calmer cette agitation sociale, ni vision, ni stratégie, ni plan d'action. On tente de gérer au jour le jour et on joue au pompier sans qu'il n'y ait de réelle avancée concrète sur aucun plan, mis à part les projets et les déclarations d'intention.
Le gouvernement Essid a même réussi à négliger la dimension symbolique, à défaut de dimension réelle. Les soldats récemment décédés sur les hauteurs de Sbeitla n'ont pas eu droit à la présence d'officiels pour leurs funérailles. Aucun représentant de haut rang du gouvernement n'a jugé utile de se déplacer pour mettre en terre ces héros. Et puis, ce n'est pas comme s'ils étaient submergés de travail. Le jour même Habib Essid recevait l'actrice Hend Sabri…
Décidément, le Tunisien semble être condamné à faire avec des gouvernements tous aussi insipides les uns que les autres. Et après, on réclame l'implication de ce même Tunisien dans la politique de son pays et l'on s'étonne de son désintérêt pour la chose publique. Quand on a un chef du gouvernement qui préfère papoter avec une actrice plutôt que d'enterrer des soldats, on peut comprendre le désenchantement.
Du côté du Bardo, la situation ne semble pas meilleure. On en est arrivés au point où le président de l'ARP conteste le travail de l'association Al Bawsala ! Il est vrai qu'on devrait les laisser s'absenter tranquillement, pourquoi les déranger ? N'oublions pas que Mohamed Ennaceur n'a pas l'habitude d'être dérangé. Il lui faudra du temps pour s'habituer au fait d'être critiqué, ce qu'il n'avait pas connu avant…
Mais soyons cléments avec nos élus. Ils ont une grande charge de travail et ne sont pas assez payés. C'est ce qu'avait expliqué le député Mohamed Ghannem au lendemain de la parution du même rapport. On ne peut que baisser les yeux et remercier M. Ghannem de l'infime honneur qu'il nous fait en voulant bien être un élu du peuple. Merci Monsieur l'élu de bien vouloir occuper un poste de député dans notre modeste assemblée, ce n'est pas comme si vous vous étiez volontairement mis sur une liste et que vous aviez fait campagne pour devenir représentant du peuple !
Pour ne pas terminer sur une note négative, on peut s'estimer heureux d'avoir conquis une certaine liberté et d'avoir une société civile et des médias capables de déranger les responsables établis dans leurs mauvaises habitudes. J'en profite pour rendre hommage à nos confrères algériens dont Mustapha Kessassi et Abdou Semmar, qui ont vu leur émission déprogrammée car ils s'interrogeaient sur l'origine de la fortune de la fille du premier ministre algérien. Une célèbre maxime dit : « En Dictature c'est ferme ta gueule, en démocratie c'est cause toujours ». Elle n'a jamais été aussi vraie…