Avec la publication, ce vendredi 19 juin, de 61 mille câbles s'étendant sur plusieurs années, Wikileaks s'est attaqué à l'Arabie Saoudite, en étalant au grand jour des communications présentées comme authentiques et confidentielles de la diplomatie saoudienne et les manigances du royaume wahhabite. L'opération « Saudi cables » n'en finit pas de susciter la polémique en Tunisie, et pour cause, certains des documents fuités nous concernent directement.
On ne présente plus Wikileaks, site web d'alertes publiant des documents pour la plupart confidentiels et se voulant une plateforme se basant sur la liberté d'expression et la libre circulation de l'information, et dont le fondateur n'est autre que le controversé Julian Assange. L'opération, qui au final, s'est fixé pour but de révéler au total 500 mille documents, a éclaboussé de nombreux pays, vu que ces communications présentent des échanges de messages entre le ministère des Affaires étrangères saoudien et ses ambassades dans le monde, outre des rapports du ministère de l'Intérieur et les services de renseignements saoudiens.
Les révélations qui intéressent la Tunisie dans ce flot d'informations confidentielles, sont de taille. Ainsi, une correspondance datant de 2012, du temps du gouvernement de Hamadi Jebali, indique que l'Arabie Saoudite avait contacté ce même gouvernement dans le but de réconcilier l'ancien président de la République, Zine El Abidine Ben Ali, avec l'Etat tunisien. On apprend que le président déchu avait informé les autorités saoudiennes que le gouvernement de l'époque pensait à trouver une solution avec le parti de Ben Ali, en l'occurrence le RCD, et d'ouvrir un dialogue avec lui. Il est noté que l'avocat, Abdesattar Messaoudi, a pris contact avec l'avocat de Ben Ali, l'informant qu'il a été chargé par le gouvernement tunisien, de coordonner avec lui et d'ouvrir le dialogue avec l'ancien président dans le cadre d'une réconciliation nationale. Toujours selon le document, Ben Ali s'est dit prêt à accepter cette proposition, en envisageant de rencontrer Me Messaoudi.
En réponse au message de Riadh, un second document, classé secret et urgent, est envoyé par l'ambassade saoudienne à Tunis, fait état que l'ambassadeur saoudien a rencontré à ce sujet le chef du gouvernement de l'époque, Hamadi Jebali. La correspondance précise que ce dernier a nié qu'il y ait eu un quelconque contact avec le président déchu et que le gouvernement n'a chargé personne pour l'établir. Hamadi Jebali avait en ce sens indiqué au diplomate saoudien, qu'il ne connaissait pas en personne Abdessatar Messaoudi et qu'il demandera qu'une enquête soit ouverte à ce sujet.
Sauf que Me Messaoudi avait été, à l'époque, chargé d'office par l'Ordre des avocats pour défendre Ben Ali. Information que le concerné a confirmé, aujourd'hui même, sur les ondes d'Express Fm, expliquant qu'il avait pris contact avec l'avocat de l'ex-président et qu'il lui avait proposé de retourner en Tunisie. Selon Abdesattar Messaoudi, il avait demandé que Ben Ali présente au peuple tunisien des excuses et de restituer les biens spoliés. L'avocat a toutefois démenti qu'il ait personnellement contacté l'ancien président ou qu'il ait parlé de réconciliation nationale. Une déclaration qui confirme ainsi l'authenticité des documents, mais qui suscite plusieurs interrogations quant aux parties ayant informé l'ancien président que le gouvernement tunisien pense à ouvrir des négociations avec lui…
Un autre document fuité, des plus compromettants, montre que l'ambassadeur de Tunisie au Bahreïn avait présenté à son homologue saoudien, des documents faisant état de la découverte d'un champ pétrolier, alors que les autorités tunisiennes n'avaient pas encore annoncé officiellement son existence. Classé secret, le câble révèle que le diplomate tunisien savait pertinemment que les données et les chiffres du rapport étaient strictement confidentiels et que les autorités tunisiennes ont préféré, pour des raisons internes, ne pas les dévoiler. Et pourtant ! Le représentant de la Tunisie au Bahreïn, avait mis au courant l'ambassadeur saoudien d'une manière « amicale » et tenant compte des « relations solides et excellentes entre les deux pays ». Une aberration ! Cela ne relèverait pas d'un fait de trahison ? Un diplomate qui divulgue des informations classées secrètes par son pays ! Il serait plus que nécessaire que le ministère des Affaires étrangères tunisien, réagisse à de tels fait et qu'une enquête soit ouverte pour confirmer la véracité de ces informations, portant atteinte à la souveraineté de la Tunisie.
Autre dépêche intéressante, celle relative au contrôle qu'exerce le ministère de la Culture et des Médias saoudien sur, justement, les médias dans le monde, et notamment tunisiens. On peut lire dans ce document, que le ministère saoudien, grâce à ses moyens financiers, fait en sorte de s'assurer de l'allégeance des médias, en versant des sommes d'argent consacrés aux abonnements dans plusieurs journaux. Le moyen de pression : pas de renouvellement des abonnements si les publications portent atteinte à l'Arabie Saoudite. Une sorte de chantage, qui obligerait les journaux à retourner la faveur et qui garantit une presse complaisante, ou du moins, neutre, servant dans tous les cas les intérêts du royaume wahhabite.
Autant de révélations fracassantes qui mettent à jour les manœuvres entreprises par ce royaume pour avoir une mainmise sur la Tunisie et sur la région, tout en plaçant ses pions. Un royaume qui est loin d'être réputé pour ses pratiques démocratiques. Cela étant dit, les documents publiés par Wikileaks concernant la Tunisie, ne doivent pas être tus et des explications, si ce n'est des enquêtes, sont nécessaires pour mettre au clair ce flot d'informations, dont certaines portent carrément atteinte à la souveraineté de l'Etat tunisien.