Alors qu'on attendait un remaniement ministériel, dont les divers milieux, politiques, économiques et médiatiques, parlaient, la nouvelle du limogeage du ministre de la Justice, annoncée par la présidence du gouvernement, mardi 20 octobre 2015, a provoqué un véritable séisme chez l'opinion publique en Tunisie. Une raison officielle a été invoquée par le premier concerné. Mais les analystes avertis en rajoutent d'autres tout en considérant ledit motif comme étant la goutte qui a fait déborder le vase.
En effet, les observateurs parlent d'une accumulation de reproches dont fait l'objet, depuis quelque temps déjà, le ministre de la Justice qui est critiqué, surtout, par les services sécuritaires l'accusant de l'absence de toute prise de décision ferme contre les différents juges qui ont libéré récemment des personnes suspectées de terrorisme.
Ces mêmes milieux sécuritaires affirment qu'en dépit des PV des brigades spécialisées et de la forte suspicion de l'implication de ces personnes dans des affaires de terrorisme, « certains juges se basaient sur les failles procédurales, ou des faits mineurs, pour libérer des personnes dangereuses ».
D'autre part, aussi bien à la Kasbah qu'au Palais de Carthage, on lui reproche sa prise de position sur l'article 230 criminalisant la sodomie. Le ministre a appelé à ce que cet article liberticide soit révisé, déclenchant l'ire de tous les conservateurs et des islamistes, au point qu'il a été désavoué clairement et publiquement par le président de la République en personne.
On reproche, aussi, à M. Ben Aissa ses dernières déclarations relatives aux pressions étrangères sur la Tunisie, (en allusion à l'ambassadeur américain), pour hâter l'adoption du projet de loi sur la traite des êtres humains.
Puis vint cette goutte de trop qui a précipité la décision de s'en passer de ses services. En effet, le chef du gouvernement n'a pas hésité un instant à se séparer de son ministre de la Justice qui a refusé d'assister à la plénière de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) consacrée à l'examen du projet de loi relatif au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) parce qu'il était contre la discussion et la modification de ces textes, objets de recours.
En dépit de l'insistance du chef du gouvernement et en dépit du calendrier serré, puisque cette loi devait être votée avant la fin du mois si l'on voulait respecter la Constitution, Mohamed Salah Ben Aissa a maintenu son attitude, ce qui lui a valu ledit limogeage spectaculaire par un communiqué laconique rendu public sur la page officielle de la présidence du gouvernement.
Qu'on en juge : « Le ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aissa a été démis de ses fonctions. Le ministre de la Défense, Farhat Horchani assurera la gestion des affaires de la justice par intérim ». Fin de citation.
Dans ses premières réactions, à chaud, à cette décision, le ministre démis a tenu à déclarer, le jour même, que « sa révocation du poste de ministre de la Justice intervient sur fond de profonds désaccords avec le gouvernement sur la méthode de travail… ». Il a notamment, cité son refus de participer mardi à la séance d'ouverture de la deuxième session parlementaire.
A noter que la veille, la rapporteure de la Commission parlementaire de législation générale, Sana Mersni, a annoncé le report de l'examen du projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature prévu pour le mardi. Plus tard, le bureau de l'ARP décide d'inscrire ce projet à l'ordre du jour de la plénière inaugurale de la 2e session parlementaire.
Mohamed Salah Ben Aissa a expliqué, dans une déclaration accordée à l'agence TAP, avoir refusé, effectivement, de participer à la séance plénière de mardi, étant non convaincu de la dernière mouture de ce projet. Une version qu'il refuse complètement.
Concernant ses dernières déclarations relatives aux pressions étrangères sur la Tunisie, (toujours en allusion à l'ambassadeur américain), pour hâter l'adoption du projet de loi sur la traite des êtres humains, Ben Aissa a affirmé que cette question n'a pas été évoquée avec le chef du gouvernement.
Répondant aux accusations de l'ex-ministre de la Justice concernant ledit projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, Abada Kéfi, député et président de la Commission de la législation générale à l'ARP, a indiqué que « les discussions et les propositions d'amendements du projet l'ont été en présence de M. Ben Aissa et avec son accord ».
Mais avec du recul, le ministre de la Justice a affirmé, aujourd'hui mercredi 21 octobre 2015, à l'émission Midi Show sur les ondes de Mosaïque Fm, que « sa démission était déjà dans sa tête mais il a préféré attendre la réponse de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois qui devait trancher sur les amendements apportés par la commission de législation au projet en question ».
Il a estimé que les amendements ont vidé le projet de son contenu mais que « le chef du gouvernement l'a envoyé à la l'instance en l'informant que la mouture finale est conforme aux attentes du gouvernement, et ce sans attendre l'aval du ministère de la Justice ». Et d'ajouter qu'il n'était pas disposé à trahir ses convictions et d'accepter l'approbation d'un texte qu'il n'a pas approuvé ce qui constitue, selon lui, une atteinte à sa dignité.
Mohamed Salah Ben Aissa assure, par ailleurs, que les ministres sans partis constituent le maillon faible du gouvernement en estimant que « son limogeage aurait été, probablement, plus difficile s'il était membre d'un parti de la coalition au pouvoir ». Revenant sur ses déclarations quant à l'amendement de l'article 230 du code pénal criminalisant l'homosexualité, l'ex-ministre de la Justice a tenu à préciser qu'elle ont été mal interprétées…
En tout état de cause, cette décision de limogeage a surpris analystes et opinion publique de par son caractère spectaculaire et de par les explications et autres ripostes franches de la part du ministre démis, des pratiques auxquelles les milieux politiques tunisiens ne sont pas habitués.