La loi de la réconciliation, quel nom ironique. Cette loi, pourtant encore au stade de projet, ne cesse de susciter la controverse. Entre partisans et détracteurs, chacun y va de ses arguments. C'est que la justice transitionnelle intéresse et attise les foules. Alors que deux camps s'affrontent, avec des opinions et des orientations bien tranchées, on fait appel à la commission de Venise pour décider lequel des deux a raison. Mais le rapport qu'elle fournit est loin d'arranger les choses. On fait dire à la même conclusion une chose et son contraire et le citoyen lambda, intéressé par la chose politique a vite fait de s'y perdre. C'est que les médias « mal intentionnés », « dépourvus de conscience » et (bien sur) « servant de sombres agendas politiques », pervertissent encore une fois la réalité.
S'il est on ne peut plus naturel pour un média d'opinion d'afficher clairement ses opinions (cela va de soi), avec une dose de mauvaise foi et un scepticisme évident, on peut appliquer ces accusations aux deux camps. Mais pourquoi un tel rapport censé rendre les choses limpides comme de l'eau de roche divise-t-il encore de plus belle ? La raison est simple. Ce rapport est loin d'être aussi tranché qu'on le voulait. Business News titrait dans son article de « Une » du 28 octobre « La claque de la Commission de Venise à Sihem Ben Sedrine and co ». Pourquoi est-ce une claque ? Ce titre, visiblement présomptueux, tire une conclusion on ne peut plus évidente. La commission de Venise, dépêchée par la présidente de l'IVD pour préparer un avis sur la loi de la réconciliation, ne lui assène pas le coup de grâce escompté. Ben Sedrine perd donc ce recours et se retrouve, invraisemblablement, au point de départ. C'est que les conclusions principales tirées de ce rapport ont déjà été énoncées par des experts tunisiens. En gros, le rapport est équivoque. Il ne désavoue pas une partie au détriment d'une autre. Il pose un constat pourtant clair : « le fonctionnement de tout système de justice transitionnelle présuppose un large consentement ». Ce consentement est-il garanti aujourd'hui entre les deux organes de l'IVD et du projet de loi de la réconciliation ? Evidemment que non.
Dans son rapport officiel, la commission de Venise ne donne raison à aucun des deux camps mais pose des constats qui gagneraient à être pris en compte. Pour faire simple, la Constitution tunisienne n'impose pas de forme ni d'organe particuliers pour la réalisation de la justice transitionnelle. La loi organique n° 2013-53, portant création de l'IVD, n'interdit pas non plus l'adoption d'une législation spéciale relative aux domaines économique et financier. Le droit portant sur la justice transitionnelle peut donc être modifié, conformément à la Constitution et aux principes de l'Etat de droit, par une autre loi organique. En l'occurrence celle de la réconciliation proposée par la présidence. La création d'un autre organe chargé de la justice transitionnelle, autre que l'Instance Vérité et Dignité, n'est donc pas interdite par la Constitution. L'IVD, qui est surchargée, pourrait alors se concentrer sur les atteintes graves aux droits de l'Homme et laisser, donc, la partie relative aux crimes financiers à la commission de la réconciliation. Dans ce sens, la commission affirme que le mandat de l'IVD est extrêmement étendu et ses prérogatives presque uniques dans un Etat de droit. La création d'une commission spécialisée chargée de s'acquitter des dossiers financiers serait en soi-même positive. Ainsi, on se dit préoccupé de voir que l'exercice de certaines des fonctions que le projet attribue à l'instance, par exemple l'administration des réparations et l'examen des affaires de corruption, risque fort de la surcharger et, partant, de l'empêcher de s'acquitter des fonctions propres à une commission de vérité.
Cependant, l'instauration de la commission de réconciliation devra répondre aux dispositions de l'article 148 alinéa 9 de la Constitution tunisienne, selon lequel l'Etat s'engage à appliquer le système de la justice transitionnelle dans tous ses domaines et dans les délais prescrits par la législation qui s'y rapporte. La commission de Venise note également que la procédure prévue par le projet de loi sur la réconciliation ne présente pas des garanties suffisantes à la considérer comme équivalente à celle se déroulant devant l'IVD et qu'elle ne permet pas de réaliser les mêmes buts des procédures prévues par la loi organique sur la justice transitionnelle n° 2013-53. Voilà qui est clair. En gros, cette loi est considérée comme insuffisante pour atteindre ses objectifs, notamment dans les domaines économique et financier. Une révision s'avère donc nécessaire. Pour ce, il devient urgent d'apporter des changements au projet de loi déposé devant le Parlement, et ce dans le but d'apporter les améliorations et amendements nécessaires en collaboration avec la Commission de Venise. Ainsi, la commission et les autorités tunisiennes se disent, toutes les deux, prêtes à collaborer pour pallier ces lacunes et obtenir, enfin, un système de justice transitionnelle ou les deux voies seraient équivalentes et qui pourrait ainsi résoudre les lacunes de l'instance Vérité et Dignité.
En définitive, le rapport de la commission de Venise est loin de trancher mais il est cependant clair. Le lecteur lambda pourra facilement se faire une idée à partir des analyses et conclusions posées par la commission de Venise. L'instance Vérité et Dignité gagnerait à déléguer la partie liée aux crimes économiques mais la commission de la réconciliation devrait, de son côté, subir quelques modifications afin de garantir son indépendance et neutralité, et ce, afin que les deux puissent (enfin !) réaliser les mêmes buts.
Ceux qui crient à la manipulation et à la désinformation pourront donc aller se rhabiller…