« Je suis personnellement satisfait de mon accomplissement ». Habib Essid ne sait plus où donner de la tête. Ses torts à la suite de la mort de 12 membres de la Garde présidentielle, en plein cœur de Tunis, troisième attentat d'une série sanglante qui a ciblé le pays depuis qu'il est au pouvoir, Habib Essid n'en voit aucun. A la question du journaliste de France 24, qui le questionne, les yeux grands ouverts d'étonnement, sur sa réaction face aux critiques qui lui sont adressées, le chef du gouvernement tunisien, impassible, ne trouve rien à redire. Entre le chef du gouvernement d'un pays « en guerre contre le terrorisme » et dont les politiques, eux-mêmes, sont en guerre et celui qui cafouille, bégaie et n'arrive pas à tenir un discours digne de son poste, il y a de quoi se poser des questions. Un océan sépare l'image que Habib Essid souhaite donner, celle qu'il se fait de lui-même, et celle qu'il projette à l'opinion publique.
La photo publiée hier par la cellule de communication de la présidence du gouvernement veut tout dire. Habib Essid se faisant saluer par un rang de ministres alors qu'il quitte Tunis pour Paris où il doit participer à la COP21. Ceci aucun protocole ne le dicte, et pourtant Habib Essid a tenu à le faire…et à diffuser l'image sur sa page officielle. Entendez par là : « je suis un chef de gouvernement craint et respecté ». Entendez par là aussi : « je suis aussi important que le président de la République », auquel il emprunte le protocole sans que personne ne trouve rien à redire. Un chef de gouvernement qui demande à ses ministres de se mettre en rang pour le saluer avant son départ et demande à ses chargés de communication de diffuser les images, ça ne s'est jamais vu auparavant. Mais tout est bon pour redorer l'image gouvernementale. Pour ceux qui en douteraient, le gouvernement est fort, soudé et aux ordres de son chef. Ceci ne peut donc être que bon pour le pays.
Ne serait-il pas bon pour le pays que ce même gouvernement, ayant à son palmarès trois sanglants attentats terroristes, dont le plus récent date de la semaine dernière, se remette en question ? Même un petit peu… Aucune raison de le faire visiblement. A la batterie de mesurettes en carton annoncées le lendemain de l'attentat de Tunis, par le Conseil de sûreté nationale, le chef du gouvernement se prononce sous la coupole du Bardo pour évoquer une « haykalat houkouma ». Mais que diable cela veut-il dire ? En réalité, pas de remaniement ministériel en vue. Pas de démissions non plus, ni la sienne ni celles des barons du gouvernement. Un simple allégement des postes ministériels et puis c'est tout, car il y en aurait trop. Trop de ministres oui, mais pas assez de volonté politique. Pourtant, on ne fait qu'en parler de cette volonté. On se pavane sur les plateaux télé pour dire qu'on n'a rien à se reprocher et qu'on a fait ce qu'il fallait. On annonce des mesures ridicules qui n'engagent à rien et ne permettent pas de rendre des comptes plus tard. On change de sujet et on parle de futilités en omettant l'essentiel. En vrai, on préfère camoufler, rafistoler et jouer les grands chevaliers sans jamais se remettre en question ni avoir le cran de dire et de décider ce qu'il faut.
La crise au sein de Nidaa Tounes n'a nullement affecté l'action gouvernementale. La situation n'est pas aussi catastrophique qu'on veut bien le faire croire. Béji Caïd Essebsi a eu bien raison de consacrer les trois quart de son discours présidentiel, pour s'ingérer dans la crise au sein du premier parti, le sien. La politique politicienne n'a eu aucun effet sur l'Etat. Aucune pression n'a été exercée sur Habib Essid dans les nominations effectuées. Il faut avouer que le morceau est quand même trop gros à faire avaler.
Alors que, pour moins que ça, ailleurs, des têtes seraient tombées, le gouvernement tunisien continue à jouer les autruches. On nous sort des concepts pompeux, mais au fond dénudés de véritable portée, comme l'union nationale qu'on brandit à toutes les occasions afin de s'accuser les uns les autres et de rejeter la faute sur ceux qui veulent « saboter les bonnes volontés du pouvoir ».
Si Habib Essid n'est pas capable de faire face à ses torts et à sa mollesse, de se faire entourer des compétences qu'il faut et d'écouter réellement les conseils (parfois précieux) qu'on lui prodigue, aucune photo ni interview n'y pourra rien. Ce ne sont pas de pathétiques images qu'on poste sur les réseaux sociaux qui redoreront une image, d'ores et déjà flétrie. Ce qu'il faut, c'est une remise en question et l'aveu, une bonne foi pour toutes, qu'il n'est pas l'homme de la situation. C'est une lettre de démission…