Le dixième congrès du parti Ennahdha devrait avoir lieu à la fin avril 2016. Il s'agit d'un rendez-vous important pour le parti islamiste mais aussi pour l'ensemble de la scène politique. Le parti, dirigé depuis sa création par Rached Ghannouchi, entame un virage qui ne sera pas facile à négocier. S'il est un constat indéniable concernant le parti Ennahdha, c'st le fait que c'est un parti qui apprend de ses erreurs. L'expérience de la troïka et du pouvoir, juste après la révolution, a constitué un moment charnière de la vie du parti islamiste. C'est en se basant sur le bilan de cette expérience en plus de la situation régionale, particulièrement en Egypte, que Rached Ghannouchi a conclu, avec Béji Caïd Essebsi, ce qu'il est devenu commun d'appeler le pacte de Paris. C'est à partir de ce moment là que l'alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha a pris forme.
Aujourd'hui, les errements de Nidaa Tounes, pourtant gagnant des élections de 2014, ont permis à Ennahdha de redevenir le parti le plus représenté à l'assemblée des représentants du peuple. Pourtant, cela n'a pas bouleversé le pacte avec Nidaa Tounes ni impacté le travail gouvernemental. La seule incidence tangible est celle de la composition et des présidences de commissions à l'assemblée.
En fait, il ne saurait y avoir d'impact ou d'incidence car le vrai rendez-vous, attendu par les membres d'Ennahdha ainsi que par l'ensemble de la scène politique tunisienne, est le dixième congrès du parti islamiste. Ce congrès revêt une importance capitale car il va durablement changer l'identité même du parti.
Ainsi, parmi les sujets discutés, il y aura le changement du nom du parti. Même s'il s'agit d'une mesure que certains qualifieraient de cosmétique, il s'agit quand même d'une décision importante qui impactera l'identité du parti et lui permettra de se défaire de l'héritage « Ennahdha ». A ce nom restent accrochés des souvenirs pénibles comme l'expérience de la troïka. Changer le nom du parti permet, dans une certaine mesure, de se dissocier du passé. Il s'agit d'une manœuvre de marketing sûrement conseillée par le cabinet américain, Burson-Marsteller.
Mais l'importance de ce congrès ne vient pas du fait de ces « mesurettes », il existe d'autres sujets autrement plus importants, qui seront discutés lors de cette réunion. Le premier d'entre eux est certainement le bilan de cette alliance avec Nidaa Tounes. En effet, certains membres dirigeants du parti islamiste ont eu beaucoup de mal à avaler la pilule de l'alliance avec le parti de Béji Caïd Essebsi. Comme les membres et les sympathisants de Nidaa Tounes, ceux d'Ennahdha ont eu du mal avec cette collaboration, d'autant plus qu'ils n'y ont vu aucun gain. Il est vrai qu'Ennahdha est représenté au gouvernement mais pas de la manière que souhaiteraient voir certains. Il s'agit là de l'un des choix du grand chef, Rached Ghannouchi, qui sera discuté et remis en cause par ses détracteurs.
Justement, cette question de chef sera aussi mise sur le tapis. Rached Ghannouchi est le président du parti depuis sa création en 1981. En juin prochain, le chef historique d'Ennahdha aura 75 ans et il commence à se faire vieux. Toutefois, une majorité de personnes ne se fait pas d'illusion sur le sujet et pense que Rached Ghannouchi est d'ores-et-déjà assuré de conserver son poste de président d'Ennahdha. Intervenant à ce sujet sur les ondes de Mosaïque FM, Abdellatif Mekki a éludé les questions. La seule information qu'il a daigné confirmer est le fait qu'il y aura plusieurs candidatures à la présidence du parti, sans donner de noms. Quel que soit le résultat concernant la présidence du parti, Ennahdha donnera une leçon de démocratie internet dont plusieurs partis gagneraient à s'inspirer, particulièrement l'allié au pouvoir.
La principale transformation qui sera discutée en sein du parti est celle de sa nature. La séparation entre l'aspect politique et la prédication est le principal sujet du dixième congrès d'Ennahdha. En effet, depuis sa création, Ennahdha s'est revendiqué comme étant un parti islamiste qui mêle allégrement le politique et le religieux. A un moment, le parti s'est vanté de son pouvoir dans les mosquées grâce justement à la prédication, pratiquée par ses disciples et faisant partie intégrante de son identité. Aujourd'hui, la question qui se pose est de savoir comment Ennahdha va abandonner son aspect religieux pour se muer en parti politique classique, civil et « tunisifié ».
Négocier ce virage peut s'avérer dangereux pour le parti car certains de ses leaders ont acquis leur légitimité dans le parti grâce au travail de prédication. Ainsi, on peut citer Habib Ellouze et Sadok Chourou qui sont plus des cheikhs que des politiciens. A noter qu'ils ont tous deux été, d'ores-et-déjà, écartés des sphères politiques d'Ennahdha. Une autre mesure vient conforter l'idée de cette séparation entre prédication et politique, celle de la possible suppression du conseil de la Choura. Instance de décision par excellence du parti, le conseil de la Choura tient son appellation et sa légitimité par l'aspect religieux du parti. Sa suppression et son remplacement par un bureau politique ou exécutif élu donnera un aspect civil au parti. Ainsi, le remplacement du conseil de la Choura par un bureau élu relancera la question des prérogatives de ce bureau en opposition avec celles du président du parti. Il est fort à parier que cette question d'ordre structurel animera les débats entre les tenants de la suprématie du chef et ceux de la décision collégiale discutée au sein d'une instance élue.
Enfin, on ne peut évoquer le sujet du congrès d'Ennahdha sans évoquer sa méthodologie qui force le respect. Plusieurs dizaines de congrès locaux ont été organisés par le parti islamiste avant de passer, dans une étape supérieure, à l'organisation de 32 congrès régionaux qui ont tous discutés des principaux thèmes qui seront évoqués lors du congrès national. Le parti Ennahdha a ainsi tenu à faire participer le maximum de personnes à l'élaboration des décisions du parti. Ainsi, le congrès devra être la conclusion de plusieurs jours de travaux qui ont commencé au bas de la pyramide avant d'en atteindre le sommet.
Le dixième congrès d'Ennahdha est indéniablement un temps fort de la vie politique tunisienne. Certains observateurs affirment que la question du remplacement éventuel de Habib Essid, qui a alimenté plusieurs rumeurs, ne peut être décidée qu'après le congrès du parti islamiste. L'autre résultat attendu de ce congrès est de savoir qui sera le président d'Ennahdha et surtout quelles prérogatives aura-t-il ? Même si les résultats de ce congrès demeurent inconnus pour l'instant, force est de constater que son organisation et sa préparation sont irréprochables, contrairement à ce qui s'est passé à Sousse pour Nidaa Tounes, son allié au pouvoir.