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«La justice transitionnelle doit passer avant la loi d'immunisation de la révolution»
Entretien avec : Rached Ghannouchi
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 02 - 2013

Je n'ai pas fait de bilan du travail du ministère des Affaires religieuses
Je ne suis pas Okba Ibnou Nafaâ pour islamiser les Tunisiens
Toutes les nominations dans l'administration peuvent être révisées
L'égalité entre l'homme et la femme est totale dans la constitution
Je n'ai pas de relations personnelles avec les ligues de protection de la révolution
C'est à El Menzah 9 que le président du parti du mouvement Ennahdah a reçu La Presse hier vers 17h00. Cette villa spacieuse et blanche de ce quartier huppé où nous avons été accueillis s'avère être le siège de la présidence du Conseil de la choura. Un écran plat trônait dans la salle de l'entrée, El Jazira diffusait en boucle. Des bouteilles d'eau minérales remplies et des verres étaient dispersés sur une grande table en forme de L, une réunion était peut-être en préparation avec le bureau du conseil. L'entretien se déroule dans un petit salon mitoyen, où le cheikh arrive 5 minutes après l'heure du rendez-vous, souriant, mais l'air grave.
Vous avez déclaré que les ministères de souveraineté seront apolitiques (ou neutres)? Est-ce que c'est définitif ?
C'est une décision. Nous tenons à garantir la concorde nationale, et puisque c'est une revendication de plusieurs partis politiques, nous acquiesçons. Nous tenons à ce que le futur gouvernement soit conforté d'une base politique et parlementaire solides.
Pouvez-vous nous donner quelques noms ? Sur quelle base allez-vous choisir les futurs ministres, et si c'est sur la base de choix consensuels, avec qui ?
C'est au chef du gouvernement de former le gouvernement. En sachant que l'unanimité sera impossible à atteindre, mais nous essayons d'aboutir à un choix consensuel au possible avec nos alliés. Ce qui est sûr, c'est que les ministres ne doivent pas être affiliés à un parti. M.Ali Laârayedh s'est concerté avec les partis, y compris ceux de l'opposition, et avec les organisations nationales, Ugtt et Utica.
Vous avez reconnu que la neutralité des ministères régaliens est importante pour la crédibilité du processus. Dans ce cas, les nominations des hauts cadres de l'administration, les gouverneurs par exemple, seront-elles remises en question ?
Nous allons vers des élections qui doivent être organisées sous la férule d'un gouvernement qui bénéficie de la plus grande caution possible. De plus, l'Etat doit assurer la continuité et non pas l'inverse. Cette continuité n'interdit pas la révision des nominations mais cela doit se faire sur la base de critères objectifs. Ceux dont la compétence est en doute doivent être révoqués, la date des nominations importe peu, qu'elles datent d'un ou dix ans. Rien n'est définitif. Mais tout doit être tranché sur des bases objectives comme la compétence. Les nominations anciennes ou récentes faites par un ministre nahdhaoui ou pas doivent être révisées de cette manière.
Est-ce que le ministère des Affaires religieuses sera neutralisé ? Dans le champ religieux, 600 mosquées sont hors contrôle, selon les estimations officielles. Quel bilan faites-vous de ce ministère?
Le ministre des Affaires religieuses n'est pas affilié à un parti. Le ministre Khadmi est un technocrate et un « alem », un homme de science reconnu dans les sphères religieuses. Avec l'avènement de ce gouvernement, près de 500 mosquées étaient hors contrôle. Pour le moment, elles ne sont plus que 100. Le ministère essaye d'imposer des critères objectifs, scientifiques, reconnus au choix des imams selon leur niveau, leurs diplômes. Je n'ai pas fait le bilan du travail de ce ministère.
Il reste des points de friction qui empêchent la finalisation de la Constitution, dont le régime politique...
Il faut que la Constitution soit celle d'un Etat civil (dawla madanya), où les droits sont garantis. Quant au régime politique, nous optons pour un régime parlementaire avec un président élu au suffrage universel, ayant des prérogatives de contrôle ainsi que des prérogatives d'arbitrage entre les pouvoirs. Le régime politique du Portugal est un modèle.
L'égalité homme-femme est-elle totale ou soumise à des exceptions ?
L'égalité doit être totale sans faille aucune dans la Constitution.
L'égalité entre les Tunisiens musulmans et non musulmans ?
L'égalité de tous les Tunisiens devant la loi est totale.
L'universalité des droits de l'Homme dans la Constitution?
Nous avons discuté cet aspect, et si nous avions refusé au début, notre refus n'était pas définitif, la recherche de la concorde est la règle d'or chez nous, nous autres les islamistes. L'universalité des droits de l'Homme sera donc nommément citée dans la Constitution tunisienne
Vous avez déclaré une fois au Cheikh Béchir Ben Hassen que le Code du statut personnel ne sera pas maintenu en l'état, que comptez-vous supprimer du CSP ?
Depuis le 17 juillet 1988 nous avons déclaré notre adhésion totale aux dispositions du CSP, et nous n'avons jamais révisé cette déclaration. Nous l'avons confirmé par notre signature du pacte national de la même année. Et nous l'avons encore confirmé lors de la signature du collectif du 18 octobre 2007 avec l'opposition. Nous l'avons encore confirmé dans notre programme politique d'Ennahdha. Maintenant l'avis de Cheikh Béchir est le sien, il est respectable, mais ce n'est pas le nôtre.
Et le conseil supérieur de l'islam ?
Le contrôle de la constitutionnalité des lois, cela relève du champ du tribunal administratif. Et si conseil supérieur il y a, il sera en charge de s'occuper des affaires religieuses.
La date des élections ?
Nous insistons pour que les élections se tiennent cette année, et si possible de les organiser au deuxième anniversaire des premières élections, donc le 23 octobre.
La présence des observateurs étrangers pour crédibiliser les élections?
Il faut ouvrir la voie aux observateurs étrangers, il ne faut pas faire douter de ces élections, sinon ce serait catastrophique. Il faut assurer à ces élections toutes les garanties de transparence et de démocratie.
Dans un régime parlementaire, c'est le chef du parti victorieux aux élections qui est nommé Premier ministre. Ce n'est pas ce que vous avez choisi. Résultat, vous n'avez de comptes à rendre qu'à votre parti, vous êtes en dehors de la chaîne de commandement et vous êtes pourtant le véritable maître de l'exécutif.
Celui qui veut gouverner, gouverne. Pourquoi se cacherait-il ? Si j'avais voulu, j'aurais gouverné. Il y a une génération plus jeune qui gouverne, Hamadi Jebali et Ali Laâreyedh sont plus jeunes que moi de 15 et 20 ans. Quand Hamadi Jebali a proposé un gouvernement de technocrates, il n'a pris l'avis de personne.
La loi d'exclusion, vous êtes pour ou contre ? Et la justice transitionnelle dans tout ça ?
La loi d'exclusion est nécessaire pour prémunir le pays contre les tendances contre-révolutionnaires. La vraie fortification doit passer par la justice. C'est mon avis. La justice transitionnelle a pris beaucoup de retard, il faut l'accélérer. Il faut que les gens soient certains que justice sera faite. La loi d'immunisation (Ndlr: tahssine ath-thawra, projet de loi en discussion à l'ANC) ne doit pas être en contradiction avec la justice transitionnelle.
Laquelle de ces deux lois doit passer avant l'autre?
La justice transitionnelle doit passer avant la loi d'immunisation de la révolution.
Les ligues de protection de la révolution doivent-elles être dissoutes ? C'est une revendication de la société civile et de nombreux partis...
Elles font partie de la société civile, qui travaille dans le cadre de la loi. Celui qui outrepasse la loi doit être puni. Ces ligues ne sont ni une autorité au-dessus de la loi, ni une autorité parallèle.
Certaines voix appellent à leur autodissolution ?
C'est leur droit de s'autodissoudre mais la loi doit trancher. Il y a des gens qui ne sont pas à l'intérieur de ces associations mais qui lancent des accusations fortuites. Il faut que la loi soit appliquée à tous.
Avez-vous des relations avec ces ligues ?
Non, des dirigeants nous ont rendu visite au bureau et non pas chez moi, je n'ai pas de relations personnelles avec elles.
Le refus de dialoguer avec Nida Tounès est-il toujours d'actualité ? Vous aviez refusé de participer à l'initiative de l'Ugtt pour cette raison.
Nous n'avons pas de relations particulières avec Nida Tounès, mais lors des concertations avec les autres partis sous l'égide du Premier ministre, nous n'avons pas conditionné notre présence à leur exclusion. Le gouvernement dirigé par Ennahdha a reconnu ce parti et Nida Tounès fait partie de la carte politique. Le jour où il y aura l'annonce d'un dialogue, nous verrons bien, et à ce jour nous n'avons pas conditionné notre présence à l'exclusion d'un autre parti.
Après l'assassinat de Chokri Belaïd, est-ce qu'il y a eu de votre part une autocritique ? Que dites-vous de la montée de la violence politique, des incitations à la haine ? Du Takfir qui est une autorisation de tuer? Du Takhouine ? Et enfin Chokri Belaïd est il «Chahid ou Fakid »?
Il ne fait aucun doute que l'assassinat est un point noir dans l'histoire de la Tunisie, nous prions pour son âme, l'âme du militant (ndlr: M.Rached Ghannouchi a refusé malgré nos questions répétées de mentionner le mot martyr), nous considérons que son assassinat est un crime politique. Les assassins doivent être arrêtés. Il faut chercher les motivations et les mobiles de ce crime. C'est un crime qui a visé la stabilité du pays et la révolution. C'est un crime qui est venu à la suite de tiraillements politiques très aigus. Il faut tirer les leçons. Tout le monde doit participer à la prévention. Assassiner un politique, c'est un signal à tous les politiques. Le mouvement Ennahdha n'est pas en position d'interrogatoire (Moussaala) mais le mouvement va poursuivre tous ceux qui l'ont injustement accusé.
Nous condamnons le Takfir, et ces procédés qui participent au climat de violence. La guerre commence par les mots. Ce climat de haine, tout le monde y a contribué, même ces plateaux de télévision qui sont devenus des disputes frontales et des incitations claires. Les politiques, les médias et les hommes de religion doivent prendre leurs responsabilités.
Votre formation se dénomme le parti du mouvement Ennahdha. C'est un parti politique mais c'est en même temps un mouvement religieux de prédication. N'est-il pas temps de séparer entre les deux dimensions ?
Nous avons reporté cette question dans le dernier congrès. Nous allons nous y pencher dans notre prochain congrès qui se tiendra dans un peu plus d'une année.
Nous avons choisi d'être un mouvement religieux mais nous n'œuvrons pas dans les mosquées. Il faut savoir toutefois que les mosquées ne peuvent pas se limiter à être des lieux de prière parce que l'Islam est une religion qui ne se limite pas aux questions de l'Au-delà, mais s'occupe de la vie quotidienne aussi. Nous ne pouvons pas séparer. Il faut savoir que dans la semaine où Belaïd a été assassiné, plusieurs mosquées ont condamné l'assassinat et la violence et rappelé que le sang humain est sacré.
Les mosquées ne peuvent pas être déconnectées de la réalité, et de la politique. L'islam est une religion politique. Donc on ne peut pas assurer la neutralité des mosquées, on doit cependant les mettre à l'abri des intérêts partisans (Tahazob). Lors des élections, l'imam va appeler les fidèles à voter parce que c'est un devoir religieux, mais il ne peut pas appeler à voter pour tel ou tel parti. Je peux vous citer le cas d'un imam qui a voulu se présenter aux élections, nous lui avons demandé de choisir entre l'imamat et le travail politique. Il a renoncé à l'imamat et il s'est consacré au travail parlementaire.
Vous avez vécu 20 ans à Londres, entre-temps, le peuple tunisien a changé mais le mouvement islamiste n'a pas changé, plusieurs composantes de la société tunisienne refusent de traiter avec vous parce qu'ils considèrent que vous êtes venus avec le projet d'islamiser la société tunisienne et changer son mode de vie...
Le peuple tunisien est musulman et Rached Ghannouchi n'est pas Okba Ibnou Nafaâ, ni Hassen Ben Noomane. Mais que le peuple tunisien comprenne mieux l'islam, pourquoi pas ?
Devons-nous nous attendre, si vous êtres réélus, à des tentatives d'islamisation coercitive de la société, un système éducatif parallèle au système républicain et la fermeture des cafés et restaurants pendant Ramadan ?
Je vais vous répondre par la voix d'un grand historien, peut-être le plus important contemporain, qui est actuellement le directeur de Beit el Hikma, Hicham Jaït. Le gouvernement Ennahdha l'a choisi pour ce poste qu'il mérite. Dans une déclaration au journal Essabah il avait dit que les islamistes, s'ils prennent le pouvoir, vont changer le mode de vie des Tunisiens. Après une année, les mosquées sont ouvertes, les restaurants et les bars, les plages et dans la rue il y a la voilée, la non-voilée, celle qui porte le niqab, le mode de vie n'a pas changé. Le peuple tunisien est libre, chacun mène sa vie comme il veut, celui qui veut aller danser, le fait, celui qui veut aller au bar, de même, et celui qui veut aller prier, pareil. Nous avons reçu près de 6 millions de touristes l'année dernière, personne ne leur a imposé quoi que ce soit. Et tout ce qui est imposé n'a pas de valeur. Il n'est pas des prérogatives de l'Etat d'imposer quoi que ce soit aux citoyens. L'Etat doit garantir la sécurité aux gens et ce qu'il est en mesure d'assurer comme services.


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