C'est au siège de Nidaa Tounes que s'est tenue hier la réunion périodique de la coordination de la coalition des partis au pouvoir. « Un honneur » pour Rached Ghannouchi, leader d'Ennahdha, de visiter « pour la première fois », le siège de Nidaa créé par [son] ami, Béji Caïd Essebsi. Les relations, plutôt ambigües entre les deux ténors du pouvoir tunisien semblent prendre un virage plutôt étonnant depuis quelques temps. Un revirement, récemment observé suite à la polémique suscitée par la fameuse loi de la réconciliation nationale. « C'est un honneur de visiter le siège de Nidaa Tounes, créé par mon ami Béji Caïd Essebsi », a déclaré hier, mardi 16 septembre 2015, Rached Ghannouchi suite à sa première entrée dans les locaux de son parti rival. Une visite, au cours de laquelle Ghannouchi était accompagné de Noureddine Bhiri, Lotfi Zitoun, Abdelhamid Jelassi et Ridha Saïdi, et qui devra permettre, entre autres sujets, de se pencher sur la loi de la réconciliation économique et financière. Ce très controversé projet de loi, bien que critiqué par la quasi-majorité de l'opposition, a d'emblée reçu l'approbation du parti islamiste qui l'a avalisé, presque sans détour. En effet, « la réconciliation est une priorité […] nous ne pouvons que le soutenir [le projet de loi de BCE] » a déclaré Rached Ghannouchi, questionné à plusieurs reprises sur la position officielle du parti quant au projet de loi de la présidence. Un projet de loi, qui sera certes modifié, mais qui sera sans doute adopté à l'ARP, précise-t-il dans une déclaration à Shems Fm, en août dernier. Rached Ghannouchi peut, en effet, soutenir une telle affirmation étant donné que le nombre de sièges du bloc parlementaire de son parti au Parlement (ARP), combiné avec ceux de Nidaa Tounes, représente plus des deux tiers de l'ensemble de l'hémicycle. Le projet de loi passera comme une lettre à la poste si les élus islamistes reçoivent la consigne de voter pour. Et ils la recevront. La réputation de « discipline » des députés nahdhaouis n'est, évidemment, plus à faire. « Nous sommes avec la réconciliation. Quant aux détails, ils peuvent être discutés », avait déclaré Ghannouchi, avant d'ajouter que « ce projet peut être amendé, mais il passera », à l'occasion de la célébration de la Journée du Savoir. Voilà qui élimine le moindre doute.
Mais si Ennahdha a poli, après son échec aux législatives, son discours à l'adresse de son principal rival d'autrefois, les choses n'ont pas toujours été aussi roses entre le couple présidentiel et leurs deux partis. Il y a deux ans, le leader islamiste déclarait sur le plateau de Shems Fm que « le parti Nidaa Tounes était plus dangereux que les salafistes ». Une comparaison qu'il argumente en affirmant que « il est plus facile de lutter contre le salafisme que contre Nidaa Tounes, car les salafistes ne sont qu'une minorité naissante et maîtrisable alors que Nidaa Tounes dispose des réseaux du RCD, implantés dans tout le pays ». Pourtant, au moment du passage au vote de la loi dite d'immunisation de la révolution, servant à exclure de la vie politique les anciens du RCD dissous, Ennahdha fait marche arrière sous la pression de Nidaa Tounes.
Mais cette transition ne s'est pas faite en douceur. Les bases d'Ennahdha se sont opposées à ces nouvelles relations avec le parti destourien qualifié d'être le diable. Insultes et accusations par médias interposés, refus d'être réunis sur le même plateau télé, les luttes entre les deux clans étaient publiques et personne ne s'en cachait. Avant les élections de 2014, le conseil de la Choura d'Ennahdha avait même décidé de s'opposer à toute participation de Nidaa Tounes dans le gouvernement qu'il présidait. « La prochaine coalition pourra s'élargir à l'ensemble des partis ou formations politiques, mais pas Nidaa », avait déclaré Fethi Ayadi, président du conseil de la Choura d'Ennahdha.
Mais il est important de savoir que, depuis la chute sanglante des Frères musulmans d'Egypte, une tentative de « normalisation » du parti islamiste s'est opérée en douceur, et ce, afin d'éviter tout choc avec les élites politiques des autres bords. En Tunisie, Ennahdha qui a pâti de son exercice au pouvoir, pouvait facilement prédire la victoire de Nidaa aux législatives de 2014. Il fallait, donc, éviter à tout prix de se heurter à l'ennemi d'hier mais plutôt avoir l'intelligence d'en faire l'ami d'aujourd'hui. Dans les faits, malgré ces hostilités apparentes, les concertations n'ont pas cessé entre BCE et Ghannouchi depuis la fameuse rencontre de Paris à quelques semaines des élections, selon les dires du conseiller de ce dernier, Lotfi Zitoun. Le rapprochement s'est fait, certes, en douceur, mais était imminent.
L'union entre les deux grands partis de la scène nationale a été longtemps prédite par les analystes politiques qui ont annoncé que les deux ennemis d'hier se réuniront dans un gouvernement d'union nationale. Les faits sont là aujourd'hui, Nidaa Tounes et Ennahdha s'entendent, en apparence, comme deux larrons en foire au grand dam de leurs électeurs respectifs qui continuent de nourrir des animosités envers l'autre camp. Si Nidaa tire parti de son alliance avec Ennahdha, dont il n'a jamais réellement exclu un rapprochement, le parti de Rached Ghannouchi essaye de gagner du temps. En affichant un visage plus lisse que jamais, le parti islamiste prépare, doucement mais sûrement, son imminent retour en scène. Un accord sur la loi de réconciliation nationale ne fera qu'ajouter une pierre à l'édifice.