La vie politique tunisienne a été rythmée dernièrement par les soubresauts de Nidaa Tounes qui s'est scindé en deux partis, le MPT de Mohsen Marzouk et ce qui reste de ce même Nidaa sous la houlette de Ridha Belhaj et de Hafedh Caïd Essebsi. Ce week-end a été l'occasion d'une confrontation à distance entre ces « frères ennemis », riche d'enseignements. Quand deux formations politiques chassent sur les mêmes terres, convoitent les mêmes électeurs et se réclament de la même idéologie, il devient clair qu'elles n'ont pas leur place, en même temps, sur la scène politique. Quand Nidaa Tounes était présidé par Béji Caïd Essebsi et qu'il livrait une bataille vis-à-vis d'Ennahdha, certains observateurs avaient craint la bipolarisation de la scène politique tunisienne. Aujourd'hui, avec l'effritement de Nidaa Tounes, on évoque plutôt un vide dans la scène politique au sens où Ennahdha est désormais le seul grand pôle.
En face du parti islamiste, ce sont deux partis qui se disputent une lutte de positionnement, dans laquelle tous les moyens sont bons, y compris les plus bas. Comme il n'y a pas assez d'espace pour deux formations politiques aussi proches, chacune d'entre elles espère absorber l'autre. C'est ce qu'avait exprimé Faouzi Elloumi, l'un des leaders de Nidaa Tounes, en formulant le souhait de voir Mohsen Marzouk, patron du MPT et ancien secrétaire général de Nidaa, réintégrer les rangs du parti fondé par Béji Caïd Essebsi. Une option écartée d'un revers de la main par Khawla Ben Aïcha, l'une des fondatrices du MPT, lors de son passage sur RTCI au matin du 21 mars 2016. Ainsi, la députée explique que ses appels viennent trop tard et resteront lettre morte. Elle ajoute : « Nous avons appelé à la même chose au mois de novembre quand nous nous sommes fait agresser lors de la réunion d'Hammamet et même après. Il est trop tard, ceux qui lancent ces appels devraient eux-mêmes nous rejoindre ».
En effet, il semble difficile, voire impossible, de voir un rapprochement entre les deux formations. Premièrement du fait du passif existant entre les deux leaderships. Le souvenir du départ de Mohsen Marzouk de Nidaa Tounes reste frais et l'on se rappelle que cette sortie, après une guerre ouverte avec Hafedh Caïd Essebsi, ne s'est pas faite de manière pacifique. Par ailleurs, si l'une des deux formations décide un rapprochement avec sa rivale, elle y perdra le peu de crédibilité qui lui reste après les déchirements que le parti, dans sa version unifiée, a connu. La dernière raison, et non des moindres, est que les leaders des deux formations politiques ont montré, à maintes reprises, leur incapacité à mettre leur égo de côté ce qui rend pour le moins compliqué un quelconque rapprochement.
Ainsi, la scène politique tunisienne accueillera le nouveau venu dénommé Mouvement pour le projet de la Tunisie (MPT). Ce nouveau venu devra organiser un congrès électif pour déterminer les responsabilités. Selon Khawla Ben Aïcha, c'est au cours de ce congrès que le rôle de Mohsen Marzouk sera déterminé. Mais vu que cette formation s'est constituée à l'initiative de M. Marzouk, il semble évident qu'il aura le premier rôle dans ce parti. Le MPT se présentera comme une alternative aux déçus de Nidaa, pour qui l'alliance avec Ennahdha est une pilule qui n'est toujours pas passée. Comme le répète à l'envi Mohsen Marzouk, ce parti se réclame de l'héritage bourguibien et du mouvement réformiste tunisien.
Dans une optique plus globale, l'avènement du MPT renforce encore le morcellement de ce qu'on appelle communément le camp démocratique et moderniste. La constitution du bloc parlementaire Al Horra a déjà fait que Ennahdha est redevenu la première force parlementaire du pays. Beaucoup pensent aujourd'hui que le parti islamiste est le seul parti réellement structuré et qui garde une certaine cohésion, même de façade.
A côté de ça, il y a d'autres partis dont l'influence et la popularité sont quasi nulles. Ce sont les partis censés représenter l'opposition, justement, comme le Front populaire ou Al Jomhouri. Ainsi, Ennahdha, par sa discipline et par l'amateurisme de ses concurrents, est parvenu à occuper la place centrale dans la scène politique tunisienne, sans avoir de réel contrepoids ou parti concurrent du même calibre.
La première échéance qui permettra de déterminer réellement l'équilibre des forces entre les différents protagonistes sera les élections municipales. Il semble compromis que lesdites élections se tiennent en 2016, du fait que la procédure n'a pas encore été lancée. Les élections municipales permettront de tester la solidité des structures dans le cadre d'une campagne électorale, test ultime pour toute formation politique. Un autre test, plus proche chronologiquement, sera celui du projet de loi d'interdiction du port du niqab dans les lieux publics. Le vote sur ce projet de loi poussera d'un côté, Ennahdha dans ses retranchements en l'obligeant à se positionner vis-à-vis d'une proposition touchant directement le cœur de son électorat. D'un autre côté, les élus Nidaa Tounes vont s'aligner sur cette proposition et par conséquent, donneront le beau rôle aux élus d'Al Horra qui auront fait preuve de « courage politique ».
La Tunisie peut être considérée comme une démocratie depuis à peine 5 ans. Il est naturel que la scène politique du pays soit aussi mouvante et aussi tourmentée. Toutefois, les circonstances font que, parallèlement, la Tunisie se trouve dans une situation économique fragile. La relance de l'économie tunisienne nécessite un prélude qui est la stabilité politique. Si en plus, les scissions et les divisions touchent le parti au pouvoir, il est logique de penser que la relance économique est fragilisée. C'est dans ce cercle vicieux que se trouve aujourd'hui la Tunisie, et les secousses de sa vie politique ne semblent pas se calmer.