Youssef Chahed futur chef du gouvernement ? C'est en tout cas ce que les dernières indiscrétions émanant de Carthage révèlent. L'information qui, au départ, avait tout du ballon d'essai, est aujourd'hui en train de prendre forme. Peut-être car ceux qui ont lancé ce ballon ont estimé qu'il a finalement suscité l'engouement recherché… Quoi qu'il en soit, cette annonce a, de prime abord, suscité peu de critiques du moins du côté des partis au pouvoir. Si on le critique, notamment pour sa proximité avec la famille Caïd Essebsi, les éloges, eux, se sont faits plus bruyants. D'abord parce que l'homme est jeune. 41 ans pour être exacte. Un quadragénaire à la Kasbah a de quoi réjouir. Personne n'est contre un peu de sang frais et une vision sans doute moins étriquée que celle dont nous avaient habitués les « séniors » qui l'ont précédé, Habib Essid, Ali Laârayedh, Hamadi Jebali, Béji Caïd Essebsi et Mohamed Ghannouchi. Mais aussi car nombreux reconnaissent un homme compétent et intègre. Serait-il l'homme providentiel dont on n'a pas arrêté de brosser le tableau depuis l'exercice chaotique de Habib Essid ? Il ne faut pas se leurrer non plus car ce n'est sans doute pas pour sa « brillante » prestation en tant que ministre des Affaires locales, ou en tant qu'ancien secrétaire d'Etat à la pêche que Youssef Chahed a été choisi. Son nom semble créer une sorte de consensus entre Nidaa (auquel il appartient) et Ennahdha, les partis au pouvoir qui comptent donc. Mais aussi, notamment, du côté de l'UPL et des Destouriens. Il ne s'est pas « sali » avec l'ancien régime, il est jeune et ne traine, encore, aucune casserole. Il en faut peu aujourd'hui pour convaincre. En effet, après le récent carnage au Parlement, réservé à Habib Essid, il faut reconnaitre que pour accepter un tel poste, il faut avoir une certaine dose de casse-cou…et ne pas avoir peur de se bruler les ailes.
Une chose est sûre cependant. Si le nom de Youssef Chahed venait à être officiellement proposé par Carthage, les membres du Parlement plongeront la tête la première. Oui car nous ne sommes pas près d'oublier le cirque des hypocrites et des chiffe-molles dont nous a gratifié le Bardo, samedi dernier lors de la plénière du vote de confiance contre le gouvernement Essid. Des discours vides de sens dans lesquels le populisme s'est joyeusement mêlé à des critiques évoquées à demi-mots. Il a fallu que l'homme soit à terre, livré à ses bourreaux, pour que les hyènes se jettent sur son cadavre et se disputent pour savoir qui d'entre eux prononcera le discours le plus « mémorable », dans une minable opportunité d'être, enfin, vu et entendu. Au lieu des critiques constructives, qui devront servir au cabinet à venir, l'on s'est contenté de formules de politesse, de circonstance, prononcées face à un homme qu'on a placé seul sur le bûcher et qui a dû assumer, seul encore, les égarements et les cafouillages d'un système tout entier. On n'est pas aussi près d'oublier que ce même Youssef Chahed fait aussi, comble de l'ironie, partie de ce même gouvernement qu'on vient d'abattre il y a à peine quelques jours. Serait-il le seul, de toute la mêlée, à être au-dessus des critiques ?
Il importe peu que ce soit Youssef Chahed qui occupera le fameux poste à la Kasbah. Peu importent ses compétences et les programmes qu'il projette de réaliser ou d'annoncer à l'adresse de ceux qui seront, pendus à ses lèvres, à l'attente d'une personnalité salvatrice. Le chef du gouvernement providentiel n'existe pas. Ce qui comptera, le plus, en revanche, ce sera tous ceux qui l'entoureront. Ses conseillers qui lui dicteront ses moindres faits et gestes, qui devront chronométrer ses apparitions, ses discours et ses décisions comme du papier à musique. Ce qui comptera aussi ce seront les députés qui prendront les décisions importantes et voteront les lois adéquates avant qu'il ne soit trop tard. Avant de profiter de leurs rares apparitions pour se montrer et dire ce qui doit être dit. Ce sera aussi le choix de son équipe, qui l'accompagnera dans sa mission et assumera ses propres responsabilités, chacun à son niveau. Ce sera aussi les institutions de l'Etat et ses mécanismes qui devront apporter leur pierre à l'édifice. Youssef Chahed, aussi intègre, aussi compétent et aussi brillant qu'on veuille nous le présenter, ne pourra rien seul. Il ne pourra rien faire contre les saboteurs, les corrompus, ceux qui ne souhaitent pas que les choses changent, ceux qui ont la flemme d'accompagner le changement et ceux qui veulent que le marasme reste là où il est car il arrange leur propre petit monde.
Youssef Chahed ou un autre peu importe le nom du moment où le futur chef du gouvernement tunisien organisera, comme il se doit, les prochaines échéances électorales, qu'il donnera un coup de fouet à une économie agonisante en redonnant aux investisseurs la confiance qui fait défaut aujourd'hui et en redorant l'image du pays, qu'il mènera de front (et non par de simples slogans pompeux) une guerre contre la corruption en s'attaquant à ceux qu'il faut destituer, en sécurisant le pays, en gardant en place ceux qu'il faut garder, en assainissant l'administration et en prenant les décisions qu'il faut contre eux qui le pousseront, sans aucun doute, à tourner en rond.