Séance houleuse hier à l'Assemblée lors de la présentation par le chef du gouvernement de sa nouvelle équipe. L'opposition ne l'a pas épargnée, pointant du doigt le passé de quelques ministres. Sur fond de démissions en cascade au sein du parti de la majorité Nida Tounès, le chef du gouvernement, Habib Essid, s'est présenté hier devant les parlementaires en compagnie de ses nouveaux ministres qu'il a décidé de nommer quelques jours auparavant. Devant un hémicycle clairsemé, le chef du gouvernement a prononcé un discours au cours duquel il a expliqué son choix de remanier le gouvernement. Un remaniement auquel il a procédé « en vertu de l'article 92 de la constitution », a-t-il tenu à rappeler, comme pour expliquer que s'il est au parlement, c'est par choix et pas par obligation. Le chef du gouvernement a également rappelé que ce remaniement avait pour objectif, comme il l'avait annoncé à l'occasion de l'examen de la loi de finances, d'assurer un meilleur fonctionnement de l'appareil gouvernemental et surtout d'assurer la réalisation des orientations de la loi de finances 2016 ainsi que celles du plan quinquennal dont la réalisation va passer par des réformes profondes et parfois douloureuses. Critiqué pour son manque de vision dans le changement qu'il opère, Habib Essid s'est dit engagé à réformer les ministères, à lutter contre le terrorisme, à développer les régions et à renforcer les droits de l'Homme. Il a aussi promis de remettre la question environnementale au centre des débats puisque son gouvernement ambitionne de ramener à 12% la part des énergies renouvelables dans la consommation, contre 3% actuellement. Décentralisation Avec la nomination d'un ministre chargé des affaires locales, en l'occurrence Youssef Chahed, le chef du gouvernement met fin à une configuration historique du ministère de l'Intérieur. Désormais, ce ministère se concentrera sur ses fonctions sécuritaires pour « affronter efficacement sa guerre contre le terrorisme ». Selon le chef du gouvernement, le nouveau ministère chargé des affaires locales aura pour mission de « mettre en œuvre les dispositions du chapitre 7 de la constitution relatif à la décentralisation ». Il s'attaquera notamment au grand chantier des territoires qui devront être municipalisés avant les élections. Les élections, c'est justement ce que craint l'opposition avec cette nomination, puisque Youssef Chahed est réputé proche du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Du nouveau également du côté de la fonction publique qui devrait subir des réformes profondes, puisque Kamel Ayadi a été nommé ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption. Le chef du gouvernement considère que l'administration publique souffre de plusieurs maux dont la bureaucratie, la corruption et la mauvaise gestion. « Ce ministère préparera le terrain pour l'amélioration des textes juridiques et des dispositions en mesure de réaliser les objectifs, de soutenir la bonne gouvernance et la transparence et de protéger l'administration des tiraillements politiques », a-t-il déclaré. Soutiens et critiques Une des composantes de la coalition gouvernementale, Afek Tounès, a soutenu le remaniement ministériel opéré en affirmant que le parti « accorde sa confiance à Habib Essid » et lui donne la latitude nécessaire pour réaliser le programme gouvernemental. Karim Helali, l'un des députés du parti Afek Tounès, a néanmoins conseillé au chef du gouvernement de réformer la loi sur les contrats publics « qui reste rigide ». L'objectif, selon lui, est de permettre au ministre de prendre des décisions unilatéralement. Il a notamment sollicité plus de solidarité entre les membres du gouvernement. Un clin d'œil évidemment à l'affaire Lazard, pendant laquelle le ministre du Développement Yassine Brahim s'est trouvé seul face à l'opinion publique. De son côté, les critiques de l'opposition, qui frisent l'indignation, se sont cristallisées autour du nouveau ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, qui a passé quatre ans à la tête du bureau des relations entre Israël et la Tunisie à Tel-Aviv. La frontiste Mbarka Aouinia a fustigé cette décision par une série de questions : « Avez-vous oublié M. le chef du gouvernement nos victimes de Hammam-Chatt. Avez-vous oublié Sabra et Chatila ou l'assassinat de Abou Jihad à Tunis ? Avez-vous oublié tout cela ? N'y avait-il pas d'autres compétences dans le pays à nommer à ce poste ? J'appelle l'ensemble de mes collègues à voter contre cette nomination », a déclaré la veuve du martyr Mohamed Brahmi.