Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, est monté au créneau pour démentir formellement les rumeurs du changement de Habib Essid à la tête du gouvernement. Le chef de l'Etat a apporté son soutien à Essid, «un patriote qui a les mains propres et qui est respecté par tous». Cette déclaration revêt une forme de «confirmation» pour Habib Essid à La Kasbah et un rappel à l'ordre aux quelques députés de Nida Tounès qui veulent précipiter le départ du locataire de la primature. Un «Manuel Valls» tunisien Ce démenti intervient à la suite de folles rumeurs qui ont circulé ces derniers jours, avec beaucoup d'insistance, pour annoncer le départ du chef du gouvernement et son remplacement par un nouveau visage. Il ne se passe pratiquement plus un seul jour sans que le changement de gouvernement ne trouve écho dans nos médias. Certains commentateurs et autres observateurs de la vie politique nationale se sont même livrés à un exercice de «divination» en avançant des noms. D'autres ont poussé jusqu'à lire les intentions des uns et des autres affirmant que le président Béji Caid Essebsi a d'ores et déjà pris sa décision et trouvé son «Manuel Valls» pour «l'imposer à La Kasbah». Ce «Valls tunisien» s'appelle Youssef Chahed l'actuel ministre des Affaires locales, un quadra de la nouvelle génération des politiques. Tunisois, ayant des liens de parenté avec le chef de l'Etat, il a commencé sa carrière politique au parti «Al Joumhouri» avant de faire le «bon choix » en ralliant Nida Tounès. En très peu de temps, il a gravi tous les échelons pour se voir propulser par son mentor BCE au-devant de la scène en lui «créant» d'abord un ministère sur mesure puis en le nommant à la tête de la «commission des 13» chargée de résoudre la crise de Nida Tounès. Et bien qu'il ait échoué dans sa mission, il n'a pas été «sacrifié». Au contraire, l'échec a été attribué aux autres. Entre temps, son étoile a monté au point de devenir le préféré de Béji Caid Essebsi. Mais sa nomination à la primature risque de poser plusieurs problèmes. Car elle enfreindrait un vieux «deal» qui fait que «le pouvoir soit partagé» entre «Tunisois et Sahéliens». Ensuite, le petit-fils de la grande militante Radhia Haddad n'a pas encore l'expérience requise pour un poste aussi important au moment où le pays s'enfonce dans une crise profonde. On a besoin beaucoup plus d'un homme chevronné que d'un jeune qui, certes, pourrait compenser son manque d'expérience par l'enthousiasme et une volonté affichée de «prendre le taureau par les cornes». Mais ce n'est pas suffisant, selon certains observateurs avertis de la scène politique nationale. Il faut un «gros calibre» pour ce poste et le pays n'en manque pas. Le premier nom qu'on ressort à chaque fois, c'est celui d'Abdelkrim Zbidi, médecin de son état, et ministre de la Défense nationale dans les gouvernements de transition. Le second est celui de Mustapha Kamel Nabli, ancien candidat à l'élection présidentielle. C'est un économiste rompu, doté d'une grande expérience dans le secteur bancaire, notamment pour avoir occupé le prestigieux poste de gouverneur de la Banque centrale après le 14 janvier 2011. Il a été également ministre du Plan et du Développement régional en 1992 avant de partir sous d'autres cieux en tant qu'expert auprès de plusieurs institutions, notamment la Communauté économique européenne et la Ligue des Etats arabes et il a dirigé la section Moyen-Orient-Afrique du Nord à la Banque mondiale. Le quatrième nom avancé est celui de l'ancien ministre de la Défense, Ghazi Jeribi, qui a présidé aux destinées du Tribunal administratif. Changer de gouvernement ou changer de cap? Ceci pour les noms fréquemment cités. Or, opérer par une quelconque procédure un remaniement en cette période n'aurait aucun sens ni aucun impact. Elle va être difficile et risque de ne pas faire avancer les dossiers. Le président de la République, qui entend exercer son magistère, consulte et passe certains dossiers au peigne fin. Il s'entretient régulièrement avec le chef du gouvernement et reçoit souvent le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur. Et l'immense activité observée ces derniers temps aussi bien en Tunisie qu'à l'étranger, avec des visites dans plusieurs pays, procède beaucoup plus d'un souci de trouver des solutions aux problèmes du pays que d'une volonté de s'emparer des prérogatives du gouvernement. D'autant plus que le changement du chef du gouvernement signifie un changement de cap et, par conséquent, il faut commencer par définir une ligne politique claire pour que cela ait un sens. Cette fièvre de la «remanite», qui n'est pas sans rappeler d'autres temps, semble occuper beaucoup plus les commentateurs politiques et les observateurs que les maux réels du pays. Au lieu de débattre des perspectives d'avenir, ils se perdent en conjectures et pinaillent sur l'éventualité d'un «renvoi» du chef du gouvernement et la manière dont il serait «éjecté». La déclaration du chef de l'Etat devrait atténuer cette fièvre pour que l'on s'intéresse enfin au fond. Sinon, nous allons continuer à patauger avec de petites réformettes, sorte de palliatifs au moment où le pays s'enfonce dans la crise. Alors que les partis politiques, et notamment ceux de la coalition au pouvoir, se chamaillent à longueur de temps et recourent à des manœuvres sournoises et malsaines pour affaiblir le gouvernement et semer le doute dans les esprits des Tunisiens.