Nous avons enfin notre gouvernement d'union nationale ! L'équipe de Youssef Chahed, « très compétente et qualifiée», censée réunir tous les partis autour de la même table, a reçu ses nouveaux pouvoirs hier, lors d'une cérémonie de passation organisée à Dar Dhiafa à Carthage. Au programme de ce gouvernement qui porte sur ses épaules les lourdes responsabilités de la période actuelle : combattre le terrorisme, lutter contre la corruption et sortir le pays de sa crise économique. Rien que ça ! De vastes chantiers attendent l'équipe de Youssef Chahed qui héritera du marasme légué par ses prédécesseurs. Des compétences de Youssef Chahed à conduire la période à venir, on en sait peu. Le plus jeune chef de gouvernement que la Tunisie ait connu de son histoire, est un quadra, discret mais dynamique. On dit de lui qu'il est intègre et que la quantité de travail ne le rebute pas. Mais on n'en sait pas plus sur lui pour l'instant. Et pourtant, lors de son premier discours prononcé à l'hémicycle devant les députés venus lui donner leur confiance, il a été applaudi et acclamé. Youssef Chahed a choisi de « dire toute la vérité aux Tunisiens », lors de son discours au Parlement. Il a dressé un sombre tableau, alarmiste, mais juste certes, de ce que la Tunisie traverse en ce moment, de ce à quoi son gouvernement devra faire face. Des indicateurs au rouge, des caisses de l'Etat vides, des dettes qui s'accumulent, des investisseurs qui snobent le pays, des entreprises à l'arrêt…
Ironiquement, loin de dresser les poils des élus présents ce jour-là, ces mots terrifiants ont été applaudis ! Oui applaudis, car le discours de Youssef Chahed, s'il fait peur, a été « honnête », « franc » et « passionné ». Il a réussi la mission (franchement pas très difficile) de trancher avec le style somnolent d'un Habib Essid qui discoure dans ses souliers et de capter son auditoire. Youssef Chahed, dynamique et bien dans ses baskets, a su dire les mots qu'il fallait et convaincre ceux qui étaient venus l'écouter. Sa gestuelle, le choix de ses mots, son recours au dialecte tunisien, ont fait mouche ! Et on obtient là, de l'avis de nombreux observateurs de la chose politique, un chef de gouvernement « à la hauteur de sa mission ». Un « sans faute ! » iront jusqu'à dire certains ! C'est que le spectateur tunisien, ainsi qu'une partie de son « élite », ne sont visiblement pas très difficiles à convaincre. Un bon public qui se suffit juste de discours…
Mais de quoi parle-ton au juste ? Le gouvernement de Youssef Chahed succède à 6 autres équipes, abritant certes plusieurs compétences indéniables, mais qui n'ont pas réussi à mener à bien leurs missions respectives. Qu'est-ce qui nous fait croire que cette nouvelle équipe s'en sortira mieux ? Suffit-il d'une bonne équipe de com' pour que la tâche devienne aussi légère qu'une plume ? Certes les couacs communicationnels des gouvernements passés sont mémorables, mais est-ce pour autant leur unique tort ? Le nouveau gouvernement a obtenu son vote de confiance samedi. Depuis, un attentat terroriste au mont Sammema, revendiqué par Katibet Okba Ibn Nafaâ, a fait 3 soldats morts ; la capitale a été plongée dans le noir durant la soirée du dimanche ; le pays connait une pénurie d'eau sans précédent et toute son économie est au plus bas. Chiffres cités par Youssef Chahed à l'appui.
Dans sa délicate mission, si le choix des mots compte certes, il serait dangereux de leur donner plus d'importance qu'ils ne le méritent. Plus que des discours qui font mouche, que des mots forts et qu'une gestuelle irréprochable, ce sont des actes qui devront accompagner chaque apparition de ce nouveau gouvernement. Une stratégie claire qui tranche avec celles de ceux qui ont précédé, une communication claire et sans détour, une politique qui combat réellement la corruption et le clientélisme. Si les élus, les politiques et l' « élite » applaudissent et s'extasient, à l'écoute d'un discours brossant la sombre réalité du pays, sommes-nous en mesure d'attendre un réel changement ?