A l'actualité cette semaine, le discours tant attendu de Youssef Chahed pour présenter son nouveau gouvernement et son plan d'action. Un des plus jeunes chefs de l'exécutif de l'Histoire de la Tunisie, Youssef Chahed est ce que l'on peut appeler une pure émanation de la révolution. Dans sa chronique hebdomadaire, Sofiene Ben Hamida a utilisé le mot pour désigner la pire émanation politique de cette révolution, Slim Riahi en l'occurrence, Youssef Chahed pourrait en être la meilleure, si son discours est suivi de concrétisation sur le terrain.
Le discours du vendredi 26 août 2016 du chef du gouvernement est à la fois rassurant et inquiétant. Sur la forme d'abord, M. Chahed interpelle son auditeur en évitant l'arabe littéraire hypocrite et inaccessible, lui préférant le dialecte tunisien accrocheur. Un gouvernant se doit de parler à son peuple avec son langage naturel et natal et non avec une langue enseignée à l'école, soit-elle officielle. M. Chahed a surtout évité de lire un discours tout prêt, se suffisant de pense-bêtes, ce qui donne une intonation sincère au contenu et reflète l'image d'une personne maitrisant totalement son sujet. Sur le strict plan de la com, Youssef Chahed s'en tire très bien, dans la lignée même de son prédécesseur Mehdi Jomâa, et ce n'est nullement un hasard, puisqu'ils ont le même dircom.
Sur le fond, Youssef Chahed rassure puisqu'il a su donner un juste diagnostic de l'état des lieux. La situation est « merdique » (excusez le mot, mais il est le meilleur pour refléter l'état dans lequel est le pays) et il faut bien que le chef du gouvernement le dise franchement, sans langue de bois. Le peuple saura ensuite à quoi s'en tenir, il ne pourra pas dire « je ne savais pas, on nous a menti !». Paradoxalement, oxymore, l'inquiétant est dans cette clarté qui rassure. Le véritable diagnostic établi vendredi par Youssef Chahed exige des efforts titanesques de tous. Les priorités sont le terrorisme, la lutte contre la corruption, la justice, le développement et la croissance, le développement régional, la réforme fiscale, la propreté, les médias. En bref, une nouvelle charte avec les gouvernés, sans lesquels rien ne peut se faire. « Notre capital, c'est notre peuple, notre jeunesse, nos ressources humaines, j'ai confiance totale en ce que tous les Tunisiens se sacrifient, la Tunisie a besoin de ses enfants, nous devons tous mettre la main dans la main et nous lever pour la Tunisie !», a clôturé le chef du gouvernement, sous les applaudissements des députés et de ses ministres.
Théoriquement, le contenu du discours devrait interpeller et sensibiliser tout observateur politique mature, sensé et sérieux. Il n'est pas demandé à ce que l'on adhère ou que l'on adopte ce discours, mais que l'on soit au moins attentif au factuel de ce que dit le chef du gouvernement. On en est loin. Sur les réseaux sociaux, les cigales ont tourné en dérision le « il faut qu'on se lève pour la Tunisie ». La Tunisie est le pays où il y a la plus forte densité d'analystes politiques sous les parasols ou sur les gradins. A l'assemblée, où l'on devrait vraiment trouver des politiques sensés, au moins raisonnables, on en est loin également. Du côté de la coalition au pouvoir, ce sont des applaudissements nourris pour le discours, mais point de propositions concrètes pour passer à l'action. On est plutôt préoccupés par les postes à pourvoir et les lobbys à satisfaire…
Du côté de l'opposition, c'est la désolation. On en est encore dans le populisme primaire et dans le spectaculaire. Deux partis symbolisent ladite opposition, Irada et Attayar, dérivés tous les deux du CPR de Moncef Marzouki. Le chef d'Irada, Imed Daïmi, est en villégiature au Canada. Le député du peuple n'a pas cru bon devoir assister au principal événement politique de l'été, voire de l'année. Il a été remplacé par Mabrouk Hrizi qui n'a pas raté, encore une fois, l'occasion de faire le clown en déchirant le document de l'Accord de Carthage. L'autre figure symbolisant l'opposition est Samia Abbou qui s'est distinguée, comme d'habitude aussi, par son populisme, son impolitesse et l'arrogance de son propos. Dans son quotidien pourtant, loin des caméras, Mme Abbou est réputée être une femme cordiale, de bonne compagnie, respectueuse et bien polie.
Prenant la parole, vendredi, Samia Abbou a qualifié une partie des nouveaux ministres du gouvernement d'union nationale de « racaille et saleté du RCD». C'est ce que cette dame a trouvé à redire en commentant le discours alarmiste de Youssef Chahed. Le monsieur appelle à l'unification pour affronter les montagnes de difficultés, la dame lui répond par le discours maladif de division. Cinq ans qu'elle sert, avec les siens, ce discours revanchard, et elle ne se rend toujours pas compte que ce n'est pas ainsi que le pays pourrait évoluer. Le peuple a bien fait part de son choix lors des élections de 2014, mais elle le taxe de bêtise et le qualifié de « pauvre manipulé ». On lui dit que Nidaa et BCE ont gagné, elle répond, avec les siens, que les élections ont été traficotées, alors que le candidat qu'elle soutenait et un des partis de son camp ont figuré à la tête des fraudeurs, lors de ces élections. Les médias qui les épinglent sont systématiquement taxés de corrompus, de serviteurs de l'ancien régime ou de lobbys bien déterminés. Un de ses valets s'est même spécialisé dans l'insulte régulière des médias et des journalistes dont les opinions sont contraires à la sienne. On ne touche plus les journalistes et hommes politiques, au pouvoir ou qualifiés de proches du pouvoir, on atteint carrément leurs familles, leur réputation et leur honneur. On se rappelle encore comment ce valet a accusé la vice-présidente de l'ARP d'avoir placé son fils à la BCT et d'avoir enjoint son accusation par un recours officiel auprès de l'instance de lutte contre la corruption. L'affaire était une invention et, en dépit des démentis officiels, le monsieur n'a jamais fait de désaveu et encore moins d'excuses. On se rappelle aussi la campagne, sur commande, faite autour de Tunisie Telecom et son PDG lors de l'achat de Go Malta ou encore la campagne de « winou el pétrole », alors qu'on sait pertinemment quelles sont nos réserves et nos capacités et quelles sont les conditions de l'exploration et d'exploitation pétrolières.
En bref, pour cette opposition, l'intelligence de tout le peuple est remise en question à l'exception de la sienne, bien entendu. La probité de tous les partis et de tous les médias est remise en question, à l'exception de la sienne, bien entendu. Dans toute vie démocratique, pour un pays qui se respecte, l'opposition devrait être suffisamment imposante pour contrebalancer toute tentative hégémonique du pouvoir en place. Quelle que soit sa couleur, elle se doit d'être proche, en termes de poids électoral, du parti vainqueur. Cette opposition devrait être relayée par les médias de telle sorte que ses opinions soient audibles et convaincantes pour un large pan du peuple. Par large pan, j'entends un pan proche de 50%, de quoi garantir des élections à suspense où le vainqueur ne peut pas être deviné à l'avance. Or, quand on voit le comportement de M. Hrizi ou de Mme Abbou ce vendredi, il y a de quoi s'inquiéter pour l'opposition d'abord et pour la démocratie ensuite. On ne saurait faire de la politique en usant de l'insulte, du mensonge, de la grossièreté et de l'impolitesse. En usant de ces méthodes populistes grossières, on peut plaire à certains, mais jamais au peuple. Quand bien même on plairait à un pan du peuple, cela ne saurait jamais s'inscrire dans la durée. Les propositions de loi superficielles et légères, que cette opposition présente comme constructives, peuvent convaincre les crédules et les candides, mais jamais la masse et encore moins la majorité des députés. Si l'opposition s'oppose pour s'opposer, comme sous Ben Ali, c'est la porte ouverte au retour de la pensée unique et du parti unique. Pour le moment, il n'y a que le Front populaire qui tente, tant bien que mal, d'opérer une mue. Cantonnée dans ses idées fixes, satisfaite par son statut autoproclamé de victime des lobbys et réconfortée par ses quelques centaines de fans et adhérents (qui lui font plus de like sur Facebook que de véritables relais sur le terrain), ce qui reste de l'opposition refuse de se remettre en question et de retenir la leçon de sa débâcle électorale. Elle refuse de comprendre la véritable raison du boycott des médias où elle n'est citée que pour être moquée. Pourtant, pourtant et pourtant, cette opposition est nécessaire et indispensable à notre vie démocratique. D'elle et à l'exception du FP, on ne voit que de la… racaille. Dixit Mme Abbou !