De fin août à début septembre 2016, près de deux millions de pèlerins musulmans affluent de par le monde pour accomplir les rites du Hajj à La Mecque, en Arabie Saoudite. Un pilier de l'Islam devenu un véritable business qui rapporte au royaume des Al Saoud quelques 40 milliards de dollars chaque année (chiffres de 2015). Parmi ces contribuables, plus de 8000 pèlerins tunisiens. Le 22 août 2016, les premiers pèlerins tunisiens ont quitté le territoire national vers La Mecque. Selon les chiffres de l'OACA, 60 vols ont été assurés à partir des aéroports de Tunis-Carthage, Habib Bourguiba (Monastir), Sfax/Thina, Djerba/Zarzis, Nefta/Tozeur, Matmata/Gabès et Tabarka/Aïn Drahem. Ces vols, qui se sont poursuivis jusqu'au 5 septembre, ont transporté quelques 8300 hajijs tunisiens accompagnés de leurs 430 guides, encadreurs et membres de la délégation tunisienne. Ce rite sacré, qui fait fantasmer les musulmans, à l'idée de fouler le sol des Lieux Saints, représente chaque année une saison fructueuse pour de nombreuses agences de voyage spécialisées en Tunisie. En plus des agences locales qui se frottent les mains chaque année, le business du Hajj alimente une industrie en or de quelques 40 milliards de dollars. Avec près de 10 millions de pèlerins qui se rendent chaque année en Arabie Saoudite pour effectuer les rites Saints, dont 2 millions pour le grand pèlerinage (Hajj), La Mecque devient ainsi la plus importante destination touristique du monde arabe. Des chiffres en augmentation chaque année et qui devront doubler, à l'horizon 2020, pour atteindre les 100 milliards de dollars de revenus.
Une véritable manne financière dont le royaume des Al Saoud profite à outrance. En effet, le tourisme religieux représente pour le royaume un important flux de devises et emploie près de 8 % de la population active. « Il s'agit du deuxième flux de devises pour l'Arabie Saoudite après le pétrole », explique Zakaria Nana, président fondateur de l'association SOS Pèlerin, une association de défense des droits des pèlerins. « Et alors que les réserves de pétrole sont limitées, le tourisme cultuel est un business éternel. » Pour se donner les moyens d'accueillir ses visiteurs, le Royaume investit chaque année dans d'importants travaux d'infrastructures. Mais si ces travaux servent à améliorer le confort de pèlerins de plus en plus nombreux, les accidents sont quasi assurés. En effet, rien que l'année dernière, lors de la grande bousculade de Mina, plus de 700 pèlerins ont trouvé la mort, dont deux Tunisiens. 800 autres ont été blessés. Un nombre de victimes sans précédent depuis plus de 25 ans, dû entre autres à des manquements au niveau de la sécurité et de l'organisation, et ce malgré les importants travaux d'infrastructure réalisés ces dernières années. Pour éviter que ce genre de drame se reproduise, le Royaume annonce, cette année, des mesures pointues en matière de sécurité : des bracelets électroniques où devront être stockées les données personnelles et médicales des pèlerins ainsi que des caméras de surveillance supplémentaires contrôlant les mouvements des foules.
Mais outre les accidents, certes fréquents en raison de la grande affluence des pèlerins, les arnaques en tout genre demeurent très fréquentes. Comme partout ailleurs, le commerce du hajj obéit aux règles de tout autre service. Bakchich, dessous de table et autres interventions permettent à certains pèlerins de bénéficier de traitements de faveur, et d'avoir accès à un confort interdit à d'autres. En revanche, sur place, d'autres peuvent être escroqués, mais sans avoir le moindre recours. Réserver une chambre double et être logé en quadruple, voir les hôtels de luxe présentés sur une brochure, remplacés par des établissements de fortune où les pèlerins dorment entassés les uns collés aux autres. Les transports climatisés et confortables peuvent être substitués par des bus bondés et aux interminables allers-retours.
Cette année, en Tunisie, le coût du hajj a été fixé à 9.000 dinars par personne, tel qu'annoncé par le ministère des Affaires religieuses. Un tarif qui comprend le prix du billet d'avion (1.900 dinars) et les frais d'hébergement et de services (7.095 dinars). L'épargne de toute une vie, pour nombre d'entre eux. Et pourtant, à ce tarif, il faudra ajouter les dépenses personnelles à prévoir sur place pour acheter des souvenirs et autres eau de Zemzem, tapis de prière et bibelots à rapporter aux siens, une fois de retour en Tunisie. Des souvenirs qui sont vendus, au double voire au triple de leur prix, et dont nombre d'entre eux ne sont pas fabriqués dans la ville sainte mais sont bien du Made in China, comme le révèle la BBC sur son site internet. Le prix du hajj en Tunisie a enregistré une hausse significative de 15% de plus par rapport aux tarifs de l'année dernière. Pourtant, malgré la crise, la baisse du pouvoir d'achat des Tunisiens et la chute drastique du dinar local, le pèlerinage vers La Mecque reste très convoité.
Loin de l'image brossée de Lieux Saints propices au recueillement et à la prière, La Mecque demeure une destination touristique qui s'en donne les moyens. Chaque année, des établissements hôteliers de luxe voient le jour, dont le complexe Jebal Omar qui compte 26 hôtels de luxe, 4.000 boutiques de souvenirs, 500 restaurants et une vaste salle de prière sur six étages ! A la fin des rites, le jour de l'Aïd El Idha, près d'un million de moutons sont sacrifiés chaque année. Un mouton dont les pèlerins paient le prix mais n'en profitent pas. En réalité, les pèlerins ne voient même pas le mouton qu'ils achètent puisqu'ils se procurent un bon qu'ils donnent à un abattoir. Les autorités saoudiennes se chargent de l'abattage et procèdent, en théorie, à la redistribution de la viande aux plus nécessiteux, et ce, en-dehors du Royaume.
Malgré les tarifs pratiqués, le pèlerinage n'est pas un voyage organisé comme les autres. Chaque année, des pèlerins, pourtant en majorité âgés, rentrent via les aéroports tunisiens de leur périple spirituel fatigués, malades et éreintés à cause, notamment, d'une mauvaise qualité de service. Mais peu en parlent. Le but de ce voyage spirituel étant, pour nombre d'entre eux, de dépasser leurs limites et de faire un réel travail sur soi, on les convainc ainsi qu'il ne faut pas se plaindre, afin d'être gratifiés de la récompense de ce rite religieux. Le mot d'ordre étant : « prendre son mal en patience ». C'est pour cette raison, entre autres, et pour l'âge avancé des pèlerins, dont beaucoup voyagent pour la première fois, que le pèlerinage à La Mecque est souvent la porte ouverte à tous les abus. Une véritable omerta règne autour de ce tourisme halal où les magouilles financières et les arnaques en tous genres sont monnaie courante. Loin de l'image d'une halte spirituelle, en dehors du monde matériel, le Hajj est un business comme les autres faisant, chaque année, de plus en plus de victimes parmi des pèlerins crédules. Si, grâce aux moyens mis en place par l'Arabie Saoudite, il ne représente plus autant l'antichambre de la mort qu'il était auparavant, il obéit désormais aux traits d'un tourisme de masse aux normes internationales. Pour chaque pèlerin, l'idée étant de rentrer chez soi « aussi pur que le jour où sa mère l'a mis au monde » [hadith], une chose est sûre, cependant, tous rentreront plusieurs milliers de dinars en moins…et pour nombreux, des désillusions en plus.