On a un chef de gouvernement, mais l'union nationale on l'attend toujours. On pourra dire tout ce que l'on voudra à propos de Youssef Chahed. On pourra également se donner le droit d'évaluer son action au bout d'à peine deux mois, c'est le jeu médiatique et politique. Mais il est un fait qui devient de plus en plus incontestable, il est seul. Revenons un peu en arrière. Youssef Chahed avait été propulsé chef du gouvernement « d'union nationale », à la surprise générale, à vrai dire. Ce gouvernement avait été mis en place en vertu du fameux Accord de Carthage, fruit de consultations entre le président de la République, les organisations sociales (UGTT, UTICA etc.) et plusieurs partis politiques, à l'exception du Front populaire. A l'issue de ces concertations, un document a été produit sous la pompeuse dénomination d'Accord de Carthage. Grosso modo, une simple déclaration d'intentions, que n'importe quel observateur de la scène politique aurait pu écrire. D'ailleurs, cet accord a vite fait de montrer sa faiblesse puisque, à peine deux mois environ après sa signature, il ne vaut plus rien. Il devient même un des angles d'attaque visant le chef du gouvernement puisque l'UGTT l'accuse de ne pas l'avoir respecté.
Après avoir contribué à l'élaboration de l'Accord de Carthage, l'UGTT est devenue le principal opposant du gouvernement. En cause, la proposition de Youssef Chahed de reporter à 2019 les augmentations salariales et de les convertir en avantages fiscaux. La centrale syndicale freine de toutes ses forces et n'hésite pas à produire un communiqué incendiaire. Son argument est que ce sont toujours les mêmes qui payent lorsqu'il s'agit de remettre l'Etat à flot. Ce qui n'est pas totalement faux. De son côté, l'UTICA adopte une position plus prudente concernant la mise en place d'un impôt exceptionnel sur les sociétés. Dans l'absolu, la centrale patronale n'est pas contre, mais sous certaines conditions. Il ne serait pas étonnant que les affiliés de l'UTICA trouvent le moyen de lier cela à des impératifs de productivité et d'efficience.
Pour ce qui est des partis politiques, c'est le désert ! Les partis qui avaient signé l'Accord de Carthage se sont étrangement éclipsés et la fameuse « ceinture » politique autour du gouvernement de Youssef Chahed semble se défaire. Encore faut-il pour cela qu'elle se soit déjà nouée. Après avoir eu leurs ministres ou leurs secrétaires d'Etat, ils sont revenus se cacher et n'apportent aucun soutien au gouvernement Chahed ou à sa politique. Ils se permettent même des critiques et font des acrobaties idéologiques et politiques en affirmant que ce sont encore des opposants même s'ils sont représentés au gouvernement ! Cela devrait leur rappeler le discours d'Ettakatol en 2011 qui disait qu'il ferait partie de la troïka pour surveiller et freiner les ardeurs d'Ennahdha ! Le plus drôle c'est que ce sont ces mêmes partis qui avaient été les premiers à pilonner Ettakatol pour ses choix…
Mais Youssef Chahed a aussi été lâché par « les siens ». Il n'a absolument aucun soutien politique à espérer de son parti, Nidaa Tounes, trop occupé à s'entredéchirer et à étaler au public son inconscience et son inconsistance. Pire, on veut même profiter de sa position de chef du gouvernement pour donner un semblant de sérieux au parti. On veut le placer en tant que président du comité politique de Nidaa Tounes. Une proposition à laquelle Youssef Chahed n'a toujours pas répondu.
Le chef du gouvernement a aussi été lâché par la présidence de la République, qui s'était pourtant empressée de le placer là où il est. Youssef Chahed ne bénéficie pas du soutien politique qu'il pourrait espérer venant de la présidence de la République. En tout cas, Béji Caïd Essebsi s'était montré bien plus solidaire avec Habib Essid quand ce dernier était en place. La présidence de la République ne voudrait pas se risquer, encore une fois, à trop appuyer un chef de gouvernement que la même présidence voudra virer plus tard. Comme ce fût le cas pour Habib Essid.
Aujourd'hui, tout le monde observe un immobilisme prudent. Le seul qui tente de faire des choses c'est Youssef Chahed. Maladroitement, oui. Avec empressement, certainement. Sans aucune expérience, peut-être. Mais en tout cas, il essaye… seul, tout seul. Le problème c'est qu'il est entouré par des vautours qui attendent de retirer quelque bénéfice politique de l'un de ses faux pas.