Une semaine difficile pour la Tunisie et sa justice dans toutes ses déclinaisons. Elle avait débuté avec le verdict prononcé par le tribunal de première instance de Sousse dans l'affaire Lotfi Nagdh qui, après quatre ans d'attente, n'a pu ni rendre justice, ni apporter des réponses. En gros, ce verdict a été l'expression de la déroute de la justice « conventionnelle ». Elle s'est poursuivie avec l'ouverture des séances plénières d'écoute des témoignages des victimes, organisées par la présidente de l'IVD et ses alliés dans un esprit et avec une démarche qui nous éloignent plutôt qu'ils nous rapprochent de la justice transitionnelle. Dommage, mais n'est pas Mandela qui veut. Au même moment, sous l'hémicycle, le gouvernement tentait de faire passer son projet de loi des finances pour l'année prochaine. La principale qualité de ce projet étant de contenter tout le monde sauf les ayants droit. Les instances financières mondiales et les bailleurs de fonds auront des motifs pour faire confiance au gouvernement en place. Les escrocs et les fraudeurs pourront continuer à compter sur leurs alliés au sein de l'Etat. Seules les classes moyennes, c'est-à-dire la majorité du peuple, auront le sentiment de continuer à payer pour les autres et verront leur rêve de justice sociale s'éloigner davantage.
Commençons par Lotfi Nagdh, pour affirmer que le grand perdant dans cette affaire est la justice. En effet, la justice n'a pas été rendue par le verdict du tribunal de première instance de Sousse dans la mesure où les coupables n'ont pas été dénoncés et la victime n'a pas recouvert ses droits, même à titre posthume. Des cris se sont élevés pour appeler à respecter la magistrature et ses décisions. Nous le ferons le jour où la magistrature sera réellement la garante de la justice et de l'égalité de tous devant la loi. Pour le moment, nous savons tous que la magistrature a été sous les ordres du népotisme et de la dictature. Après la révolution, elle a été inféodée par les comportements les plus abjects allant jusqu'à entretenir des relations intimes avec une terroriste. Le juge en question se trouve actuellement en liberté alors que celui qui l'a dénoncé croupit en prison. Pour ceux qui ont la mémoire courte, rappelons que le juge Ahmed Rahmouni , alors président de l'association des magistrats tunisiens, avait annoncé tout juste après la révolution, qu'il publiera la liste des magistrats crapuleux. On attend toujours. Dire que la magistrature est corrompue n'est pas une insulte, une offense ou une hérésie aujourd'hui. C'est ce qui justifie les batailles qui ont été menées durant les dernières années en faveur de l'indépendance du pouvoir judiciaire et qui ont abouti dernièrement à l'élection du conseil supérieur de la magistrature pour la première fois dans l'histoire de notre pays. C'est à lui que revient désormais la lourde tâche de redorer le blason de la justice de toutes ses souillures anciennes et récentes.
Quant à la justice transitionnelle, ce qui s'est passé à l'occasion des séances de témoignage des victimes, la scénarisation outrancière des séances et la manipulation évidente des témoignages, est loin de l'esprit de la justice transitionnelle. Mais tout d'abord, arrêtons-nous sur les critiques qui fusent ces derniers jours contre ceux qui ont critiqué la présidente de l'IVD et le déroulement des séances d'écoute. Ces critiques sont purement et simplement des pressions et les prémices d'une volonté de retour à une pensée unique. Ceux qui ont été des victimes des régimes policiers de Bourguiba puis de Ben Ali avant de devenir les victimes visées des islamistes et de leurs alliés n'ont pas à taire leurs positions. Ceux qui ont noirci des centaines de communiqués de soutien aux victimes au moment même des exactions, qui ont signé des milliers de pétitions de dénonciation des pratiques inhumaines des pouvoirs en place et leurs sbires, qui sont sortis dans la rue bradant les matraques et les gaz pour crier leur colère, n'ont pas à se plier aujourd'hui à la volonté de ceux qui ont longtemps choisi, d'avoir une attitude de carpette et se conformer au moule du politiquement correct. Chaque exaction commise par les pouvoirs successifs est inacceptable. Chaque victime de torture ou de mauvais traitements est une victime de trop. Chaque manquement aux libertés publiques et privées mérite dénonciation. Mais la lutte contre l'injustice sociale, économique et politique, la défense de la démocratie, les libertés et les droits de l'Homme est un acte militant, individuel et réfléchi. L'un des objectifs de la justice transitionnelle est d'ailleurs d'honorer la bravoure et le courage de ces militants qui ont survécu et rendre hommage à la mémoire de ceux qui sont partis. En aucun cas, la justice transitionnelle ne doit être perçue comme une revanche personnelle, une rançon ou une monnaie d'échange. Cela, ni Sihem Ben Sedrine, ni ses alliés ne le comprendront parce qu'ils sont obnubilés par une haine noire qui a couvé en eux durant des décennies. Parce qu'il est revanchard et haineux, l'esprit qui a guidé tout le processus dés son démarrage est pipé et ne peut garantir la justice transitionnelle.
Reste la question de la justice sociale dont tout le monde parle sans rien faire pour la concrétiser. Le drame dans cette conception de la justice sociale, c'est qu'elle est utilisée à toutes les sauces, surtout pour spolier encore plus les plus démunis de leurs maigres ressources. Pour le moment, l'UGTT semble tenir bon, ce qui lui vaut les foudres d'une horde de postulants lécheurs de bottes qui oublient qu'ils sont eux aussi concernés par les mesures injustes du gouvernement. Mais quelque soit l'issue de ce nouveau round de bras de fer entre le syndicat et le gouvernement, il serait difficile de donner du crédit au discours du gouvernement. Ce dernier doit trancher sans ambages entre les corrompus, les escrocs, les fraudeurs et la justice sociale.