Les lobbys politiques et les nombreux sabotages ont finalement eu raison de Abderrahman Haj Ali, directeur général de la sûreté nationale, qui a présenté sa démission hier, 15 décembre 2016. Alors que nombreuses parties n'excluent pas un limogeage, il s'agit bel et bien d'une démission d'un homme qu'on a poussé à la porte et qui finira par expliquer qu'il ne pouvait plus continuer à exercer ses fonctions dans les conditions actuelles. Derrière cette démission, des clivages avec la présidence de la République, mais aussi des différends politiques notamment avec le parti au pouvoir, Nidaa Tounes.
«Il m'est impossible de pouvoir travailler dans les conditions actuelles », a déclaré Abderrahman Haj Ali, en présentant, hier 15 décembre 2016, sa démission de son poste de directeur général de la sûreté nationale (DGSN). Celui qui « a été le seul à avoir fait en sorte que pendant son exercice, la Tunisie n'a connu aucun attentat terroriste », a fini par jeter l'éponge, excédé par un climat de tension qui l'avait accompagné depuis sa nomination par Habib Essid en 2015.
Mais cette démission n'est pas surprenante lorsque l'on sait que les clivages, derrière son départ, perdurent depuis des mois déjà. De nombreuses parties ne veulent pas, en effet, que le DGSN reste en poste. Des sources bien informées évoquent des tensions avec la présidence de la République, des pressions de lobbys politiques exercées, notamment et en grande partie, par Nidaa Tounes avec à sa tête Hafedh Caïd Essebsi, ainsi que des nominations critiquées de hauts cadres sécuritaires.
S'exprimant ce matin, sur Shems FM, Abdelaziz Kotti, ancien porte-parole de Nidaa Tounes, a commenté cette démission. Kotti, qui était l'un des proches de Hafedh Caïd Essebsi, avait appelé en juillet dernier au limogeage de Haj Ali. Le porte-parole l'avait accusé d'espionner Hafedh Caïd Essebsi. Des propos cinglants qui, à l'époque, n'avaient été suivis d'aucune déclaration officielle de l'une ou l'autre des parties concernées, mais qui avaient pourtant envenimé une situation déjà tendue entre la présidence de la République et celle du gouvernement, responsable de cette nomination.
Pourtant, dans ses déclarations de ce matin, Abdelaziz Kotti s'est montré moins virulent, refusant de critiquer frontalement Abderrahman Haj Ali. De son point de vue, ladite démission ne serait pas causée par cette affaire d'espionnage de Hafedh Caïd Essebsi. « Je ne pense pas que cela soit la cause principale », a-t-il dit, sans pour autant réfuter catégoriquement cette lecture des faits. Abdelaziz Kotti a même dressé un tableau plutôt positif du travail du DGSN. « Il y a aujourd'hui un consensus pour dire que cette personne a fait un travail remarquable au sein du ministère » a-t-il fait remarquer.
Si les accusations d'espionnage qui pesaient contre Abderrahman Haj Ali n'ont pas conduit à son limogeage, elles avaient créé à l'époque une importante crise entre la présidence de la République et celle du gouvernement. Ayant vent de ces soupçons et alors qu'on pointait du doigt un espionnage de Hafedh Caïd Essebsi, Béji Caïd Essebi avait appelé au limogeage du directeur de la sûreté nationale. Habib Essid, convaincu alors par l'efficacité de Haj Ali, qu'il avait lui-même nommé, n'a pas abdiqué et l'a maintenu en poste. Ce différend a été, de l'avis de nombreux observateurs, à l'origine de l'une des plus grandes tensions entre les deux présidences et a causé, in fine, le départ de Habib Essid. Mais avec l'arrivée de Youssef Chahed, un chef de gouvernement qui bénéficie largement de la confiance du président de la République, Abderrahman Haj Ali est tout de même resté en poste profitant d'une réputation favorable et d'une bonne expertise au sein du ministère de l'Intérieur.
Abderrahman Hadj Ali a été nommé directeur général de la sûreté nationale par Habib Essid le 1er décembre 2015 suite au limogeage de Rafik Chelly, secrétaire d'Etat en charge de la sûreté nationale, après une série d'attentats terroristes. Le DG de la sûreté nationale démissionnaire avait intégré les services de sûreté dans les années 70 et a occupé plusieurs fonctions au sein du ministère de l'Intérieur. A la fin des années 80, il est nommé directeur général de la Garde présidentielle, avant Ali Seriati. Selon les rumeurs qui circulaient à cette époque, il aurait été limogé par l'ancienne première dame Leila Ben Ali qui lui reprochait de la surveiller de trop près.
Relevé de ses fonctions en 2001, Abderrahman Hadj Ali est nommé, juste après, ambassadeur en Mauritanie, il restera à ce poste près de 9 ans. Après sa mission à Nouakchott, il est muté en septembre 2010 à Malte en tant qu'ambassadeur de Tunisie. Il regagnera le pays après le 14 janvier 2011.
Si au départ, la nomination de Haj Ali, a été sujette à beaucoup de scepticisme, il a réussi par la suite à redonner son équilibre à la direction générale de la sûreté nationale qui travaille, désormais, en parfait équilibre avec le ministère de l'Intérieur. Pour la première fois depuis 4 ans, aucun attentat politique n'a été enregistré durant le mois à risque du ramadan et le pays a connu sa période la plus calme depuis la révolution. Ceci dit, les clivages politiques en ont décidé ainsi et sa nomination, faite par Habib Essid, n'a pas joué en sa faveur.
Habib Essid qui avait depuis longtemps perdu le soutien de Nidaa Tounes, a pâti de la bataille menée pour contrôler l'appareil sécuritaire. Nouvelle tête à tomber, celle de Abderrahman Haj Ali. Celui sur lequel étaient, pourtant, placés de grands espoirs pour remettre debout une institution sécuritaire mise à mal par des années de clivages politiques.