La Tunisie célèbrera demain, jeudi 6 avril 2017, le dix-septième anniversaire du décès du leader Habib Bourguiba. Si, du temps de Ben Ali, tout a été fait pour effacer sa mémoire et réduire à néant son mythe, Bourguiba a continué à vivre dans le cœur de ceux qui l'adorent et dans l'esprit de ceux qui l'exècrent. Aujourd'hui, la mémoire de Bourguiba est plus que jamais vivace. Comme un ingrédient magique, elle relève toutes les sauces et épice les débats. Elle ne laisse indifférent ni ses disciples autoproclamés ni ses détracteurs les plus virulents, l'objectif n'est en aucun cas de perpétuer son œuvre ou de la contester avec objectivité. Il s'agit là de brandir son image et rappeler son souvenir ou de noyer d'une haine viscérale ses discours et ternir à jamais sa mémoire. Le premier à avoir surfé sur la vague Bourguiba c'est évidemment l'actuel président de la République, Béji Caïd Essebsi. Le look, le ton, le tic de langage, la gestuelle et même les accessoires, tout a été fait pour ressusciter, comme dans un film historique, Bourguiba le bienaimé des Tunisiens. Durant la période électorale de 2014, l'idée était d'ancrer ce message subliminal dans l'inconscient des citoyens nostalgiques, idée qui leur ferait croire qu'en votant BCE, ils votaient Bourguiba. Plus tard, ce sera au tour d'autres politiciens de prendre le relais. Des destouriens purs et durs, qui ne sont jamais réellement éloignés de la trajectoire bourguibienne, des partis plus récents aux derniers-nés, la pensée et le souvenir de Bourguiba sont omniprésents dans les discours et les messages et son image ostensiblement affichée.
Le secrétaire général du parti Al Machrouû, Mohsen Marzouk, a dernièrement appelé à célébrer massivement la commémoration du décès du leader Habib Bourguiba. « Alors que, même dans sa tombe, il est la cible d'une campagne haineuse, j'invite tous ceux qui l'aiment et qui aiment la Tunisie et défendent l'Etat national moderne à se déplacer en masse le 6 avril au mausolée de Bourguiba à Monastir», écrit-il sur les réseaux sociaux. « Que ce soit la meilleure réponse aux tentatives haineuses d'emprise idéologique et un message au passé, au présent et à l'avenir», ajoute-t-il. Il a aussi annoncé, à l'occasion de la commémoration de la 83ème du congrès du 2 mars 1934, que son parti vient de créer le « Prix Bourguiba pour l'excellence nationale ». Un prix qui sera attribué chaque année à une femme ou un jeune Tunisien qui aura excellé dans n'importe quel domaine.
Si de coutume, les politiques se rappellent de Habib Bourguiba en avril ou en août, à l'occasion de l'anniversaire de son décès ou celui de sa naissance, Hafedh Caïd Essebsi, a, pour sa part, ajouté une nouvelle date au calendrier. Le 19 mars il se rendait à Monastir pour se recueillir sur le tombeau du leader suprême. Accompagné d'Anis Ghedira, ministre du Transport et dirigeant de Nidaa, et de nombreux photographes, Hafedh Caïd Essebsi adoptait pour son « nouveau Nidaa » les bonnes vieilles recettes de son paternel. Avant lui, c'était l'ancien chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, en déplacement le 5 février dans la ville de Monastir pour y tenir un meeting populaire, qui se rendait sur la tombe de Habib Bourguiba et sur celle de Hédi Nouira, « ceux qui ont consacré leurs vies au service de la nation ». Des messages qui ne sont pas du goût des éternels détracteurs de Bourguiba, qui se sont eux aussi, bien déchainés ces derniers jours sur les plateaux télé et sur les réseaux sociaux. Répondant à une question sur les pendaisons qu'aurait ordonnées Habib Bourguiba contre des proches de Salah Ben Youssef, Moncef Marzouki, ancien président de la République, a estimé leur nombre à 3000, « un vrai massacre », a-t-il insisté. Or, le chiffre est évidemment erroné. En tout cas, il n'est étayé par aucun historien crédible ou référence officielle ou officieuse.
La présidente de l'Instance vérité et dignité (IVD), Sihem Ben Sedrine a décidé, quant à elle, de revenir sur le rôle, pourtant incontestable et incontesté, du leader Habib Bourguiba dans l'émancipation de la femme tunisienne. Invitée de la chaîne El Qalam, Mme Ben Sedrine a estimé que Bourguiba n'a pas réalisé grand-chose et n'a fait que légaliser des pratiques déjà existantes avant 1956. Ne citant que Tahar Haddad, elle a affirmé que plusieurs avant Bourguiba ont participé à cette émancipation. L'environnement tunisien respectait déjà la femme, ne l'agressait pas physiquement, ne pratiquait pas vraiment la polygamie, a déclaré Sihem Ben Sedrine, imposant de fait sa vision au sein de l'IVD. L'instance a d'ailleurs été fortement accusée de vouloir réécrire l'histoire de la période qui a précédé l'indépendance de la Tunisie, réveillant au passage d'anciens démons qui ont alors divisé les Tunisiens. En déterrant le conflit Youssefiste-Bourguibiste, l'IVD a, encore une fois, tenté de modeler l'histoire pour briser un équilibre post révolutionnaire précaire et diviser un pays qui tente depuis des années de recoller ses morceaux. C'est donc plus vivant que jamais que Bourguiba verra fouler demain le sol de son mausolée, ceux qui tiennent un flambeau creux, ceux qui ont tenté de l'imiter sans jamais l'égaler, ceux qui se servent de lui par pur clientélisme électoral, ceux qui ne sont là que pour la photo, et ceux qui le pleurent encore avec sincérité.
Une chose est cependant certaine, jamais il n'aurait voulu être assimilé à un fond de commerce ni instrumentalisé pour attiser la haine entre les Tunisiens. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, qu'on l'admire ou qu'on le haïsse, Bourguiba ne laisse pas indifférent et rien qu'en cela, il est indéniable qu'il marquera encore pour très longtemps l'histoire de ce petit pays qu'il aimait tant…