Les propositions du chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, relatives à l'égalité successorale et à l'abolition de l'interdiction de mariage entre une Tunisienne et un non musulman ont généré, ce dimanche 13 août 2017, un flot de réactions mitigées. Prononcées à l'occasion de la célébration de fête nationale de la femme, ces propositions ont divisé l'opinion publique entre, d'un côté, les détracteurs de BCE qui critiquent ses propositions et crient au blasphème et, de l'autre, ceux qui les estiment "avant-gardistes" et "historiques".
Outré par la proposition du président de la République, le courant Al-Mahaba et à sa tête son leader, Hechmi Hamdi, a lancé ce dimanche 13 août 2017 une pétition sur Facebook pour contraindre l'ARP à retirer la confiance accordée au Chef de l'Etat notamment pour son appel à modifier la loi successorale. Selon lui, la proposition du chef de l'Etat contrevient à l'article 1er de la Constitution et serait constitutive d'un blasphème car elle remettrait en cause la loi d'Allah et de son prophète.
Le blogueur tunisien, Yassine Ayari, a également réagi à la déclaration du chef de l'Etat en prônant les libertés individuelles. Il a ainsi mis en évidence que la loi successorale est codifiée par un texte coranique clair mais que les citoyens sont libres de l'appliquer ou pas. « L'Etat n'est pas contraint de mener les gens au paradis contre leur gré » a-t-il avancé ajoutant que chacun est libre de ses faits et gestes. Il a par ailleurs fait un parallèle avec la consommation d'alcool en déclarant « celui qui veut en consommer en consomme et celui qui ne veut pas n'en consomme pas ».
Iskander Rekik, chef du parti Al Amen, s'est adressé aux Tunisiens, dans un statut sarcastique publié sur son compte Facebook : « Chers Tunisiens, chères Tunisiennes, dans les années à venir il n'y aura rien d'autre à hériter que le fardeau de la dette nationale ». Il a également renchéri en affirmant que l'égalité successorale va semer la confusion et créer davantage de divisions idéologiques au sein du pays.
La porte-parole de la présidence de la République, Saida Garrache, a donné la réplique aux détracteurs de BCE en interrogeant « ceux qui font valoir que le texte coranique est clair à propos de la loi successorale, peuvent-ils nous dire pourquoi nous n'appliquons pas la peine qui prévoit qu'il faut couper la main aux voleurs ? Et pourquoi nous n'appliquons pas non les règles relatives à l'esclavagisme qui sont prévues dans le Coran ? ». Elle a poursuivi en déclarant que « ce qu'il faut retenir c'est que 62% des femmes rurales actives dans le secteur agricole travaillent sur des terrains appartenant soit à leur père, soit à leur frère soit à leur époux et ne sont pas rémunérées pour le travail qu'elles y ont effectué ». Par cette constatation, Saida Garrache met en avant l'idée que l'égalité successorale n'est que justice rendue pour ces femmes.
Le député d'Ennahdha, Abdellatif Mekki n'a pas non plus manqué à l'appel de la riposte au chef de l'Etat. Dans une déclaration accordée au site d'information AlkhabarOnline il a alerté les Tunisiens sur « la dangerosité de la proposition de BCE ». Selon lui, l'égalité successorale va créer davantage de clivages politiques dans le pays alors que ce dont « nous avons le plus besoins est d'une relance de notre économie nationale ». Il a également souligné que la Constitution tunisienne garantit la sacralité des textes coraniques et a déploré le fait que BCE n'ait pas mis en place un dialogue national avec les différents intervenants avant d'annoncer sa proposition d'égalité successorale.
L'activiste politique Karim Baklouti Barketallah a également réagi aux commentaires de certains citoyens faisant valoir que la proposition de BCE est inopportune et que « ce n'est pas le moment car il vaut mieux s'occuper des problèmes du pays ». Pour lui de tels propos sont le signe de l'étroitesse d'esprit de « ceux qui ont choisi la médiocratie comme leitmotiv ». Il a ajouté que le moment est plus qu'opportun et que l'initiative présidentielle va permettre de « sceler les liens familiaux et de rompre avec les inégalités et la marginalisation de la femme ». Selon KBB, l'égalité successorale prônée par BCE est dans la continuation de ce qui avait été initié par Habib Bourguiba.
La députée d'Al Massar, Nadia Chaabâne a, pour sa part, exprimé sa joie quant à la décision de suppression de la circulaire numéro 73. Cette initiative est selon elle « une première victoire ».
L'écrivaine et universitaire, Olfa Youssef, a évoqué la cacophonie législative dans laquelle se trouve la Tunisie avec d'un côté des textes juridiques et de l'autre des textes coraniques. Pour elle cette situation génère « des dédoublements de la personnalité chez les Tunisiens » et est la cause de « l'arriérisme ». Elle a évoqué à ce titre les récentes agressions qu'ont subies les non jeuneurs à titre d'exemple. Malgré son opposition au chef de l'Etat, Olfa Youssef a salué son initiative.
Le secrétaire générale du parti Machrou Tounes, Mohsen Marzouk a salué l'initiative du président de la République. Il a indiqué que le discours de BCE est un discours « historique » qui trouve sa place dans « un mouvement national moderne ». « Après l'adoption de la loi sur les violences faites aux femmes, nous voilà en train d'avancer d'un pas vers l'égalité successorale et la possibilité de mariage des Tunisiens avec des non musulmans » s'est-il félicité saluant le chef de l'Etat pour ces avancées considérables.