Le fonctionnaire, créature paresseuse et inefficiente? Et si c'était l'Etat qui créait un fonctionnaire au-dessus des autres, des règles et du bon sens? En cette nouvelle année, le Tunisien se voit tenu de payer plus cher pour ses denrées de base, ses impôts, son assurance voiture, sa vignette, ses soins médicaux et tout le reste, au nom de la solidarité nationale. L'Etat subit de graves déficits budgétaires et se montre très créatif et inventif pour aller chercher de l'argent auprès des contribuables et des consommateurs pour boucler son budget.
Où est le problème dans tout ça? Le problème est que, comme dans toute équation de prix vs service, le citoyen s'attend à avoir des prestations en retour de cette fiscalité débridée qui nourrit une inflation incontrôlée et grève son pouvoir d'achat. Or, les budgets des divers gouvernements depuis 2011 ont connu la même tendance: augmentation continue du budget de fonctionnement de l'Etat et, en particulier, celui de la masse salariale de la fonction publique.
Cette masse salariale qui explose tous les indicateurs aura représenté 14,1 % du PIB en 2017. Bref, nous payons tous plus cher les produits et les services que nous consommons, les prestations de l'Etat et les biens que nous achetons pour couvrir le coût de gestion et de fonctionnement d'un Etat engagé dans un dérapage effréné et qui ne semble pas se remettre en question.
Le projet de loi 78-2017, voté aujourd'hui à l'Assemblée des Représentants du Peuple, semble être le pompon de cette course folle. Ce projet de loi porte sur l'octroi d'un congé exceptionnel aux agents publics candidats aux élections présidentielle, législatives, régionales et municipales. Le but? Permettre aux fonctionnaires de se porter candidats à toutes les élections, en bénéficiant d'un congé qui ne sera pas décompté sur leurs congés annuels. La cerise sur le gâteau? Ce congé est payé.
Oui, oui. L'Etat, dans un élan de générosité nourri par un budget agonisant et nos deniers soutirés sans notre consentement, garantit ainsi à tout fonctionnaire des vacances payées, à nos frais, le temps d'être candidat à tout scrutin qui passe par là. L'Etat sponsor des ambitions électorales de ses agents.
Une aberration lorsque ce même Etat nous bassine quant à l'obligation de solidarité et de sacrifice national. Nous devons travailler plus et payer plus pour soutenir l'Etat. Nous devons consommer, mais pas trop. Nous devons acheter des biens immobiliers, mais pas trop. Nous devons investir, mais pas trop. Nous devons faire du tourisme, mais pas trop. Tout coûte cher, mais c'est bon pour nous, parait-il.
Et dans le même temps, cet Etat que nous finançons, sans retour de valeur ni de prestations publiques, se dépêche de financer des vacances électorales à ses agents. Se dépêche en effet. Un projet de loi déposé le 20 septembre 2017, discuté en Commission de l'organisation de l'administration et des affaires des forces armées (commission qui a suspendu la discussion du Code des Collectivités Locales tant attendu), et voté en plénière le 02 janvier 2018. Hop, et que ça saute! Rien n'est trop beau pour l'Etat, pour lui permettre de nourrir ce monstre qu'est devenue la fonction publique.
Cette fonction publique, corps pléthorique, dont l'inefficience et l'inadéquation ne sont plus à démontrer. Cette fonction publique qui devient l'ambition ultime de tout étudiant, chômeur ou employé provisoire du secteur privé. Cette fonction publique qui fausse entièrement le marché du travail.
Comment convaincre les jeunes de s'investir dans un travail? Comment développer la valeur du travail? Comment encourager l'investissement et l'entreprenariat? Comment favoriser la création de valeur économique? Alors qu'il suffit de devenir fonctionnaire, d'avoir un emploi à vie, de bénéficier d'avantages garantis, en contre partie d'une quasi-impunité face à l'absentéisme et à la non-performance. Le secteur privé, où l'emploi est surtaxé et surfiscalisé, ne peut se permettre de suivre la surenchère de la fonction publique en termes de rémunération, de primes, de congés, de pérennité de l'emploi, de retraite, de soins médicaux, d'avantages en nature, de voitures de fonction, de bons repas, d'allocations, de subventions et de bonus.
Doit-on expliquer que cette mesure est en plus injuste pour les autres candidats aux élections, qui ne sont pas fonctionnaires? Doit-on se demander comment cette mesure peut s'accommoder du principe de base d'égalité en droits et obligations de tous les citoyens, et a fortiori de tous les candidats?
Si on osait, on dirait que l'Etat souhaite encourager ses agents à passer de fonctionnaires à élus, dans un tour de passe-passe habile où on garderait les mêmes pour recommencer le jeu de la gestion des affaires publiques. Mais non, n'est ce pas? ….. * Directrice exécutive de l'Institut des Politiques Publiques de Machrou3 Tounes (MPT)