La Tunisie est une démocratie naissante, elle est fragile. Elle a choisi la voie de la construction, une voie lente et pérenne. Le parcours est douloureux et a souvent été chaotique. Il le sera encore pendant quelques temps.
Un assemblage politique et administratif s'est mis en place depuis 2011, en plusieurs étapes. Il est le résultat de choix du peuple, d'erreurs de jugement, de l'immaturité politique du pays, de l'incompétence de la classe politique, du vécu collectif, du génie national, des errements, de la violence, de la décomposition et recomposition continue de la scène, de la sagesse et des folies de la société civile, de la fougue de Facebook, de ténors politiques exceptionnels, du choc des visions opposées. Nous sommes le résultat de tout cela. Dans cet assemblage, nous avons établi la séparation des pouvoirs, la neutralité de la loi, l'égalité des citoyens, la liberté d'expression et d'autres "petites" choses qui forgeront l'avenir du pays. Nous avons accumulé des retards, nous avons accumulé des incidents de parcours. Mais nous sommes sur la bonne voie, n'en déplaise à certains.
Les frileux, les poltrons, ceux qui n'arrivent pas à vivre dans un monde où tout n'est pas écrit d'avance, où ils ne savent pas d'avance tout d'eux-mêmes, où l'autorité absolue décide pour eux, ceux-là qui ont peur de faire des choix, d'en assumer la responsabilité, ceux-là sont mal à l'aise dans la Tunisie actuelle. Cela donne des soubresauts de soumission, des envies d'un retour en arrière, une mélancolie de l'autoritarisme. Cette nostalgie des certitudes grise les fan-clubs des hommes providentiels, des princes sur un cheval blanc, des bruits de bottes, des sifflets de fin de récréation. Mais ce n'est pas une récréation. C'est la réalité. Il y a deux choix: l'admettre et s'y plonger ou s'exclure du destin national. En Tunisie, il n'y aura plus de purge. Il n'y aura plus de silence. Notre destin ne dépendra plus d'une personne. Nous ne serons plus soumis aux caprices ou divagations d'un clan. Il n'y aura plus de parti-Etat, d'aucun bord politique. Les velléités des uns et des autres nous font perdre du temps, causent des dégâts, mais sont vaines.
Au niveau de l'Etat, nous subissons une tentative de détournement du processus démocratique. Deux institutions cherchent à s'accaparer le pouvoir de décision, l'autorité. Carthage et la Kasba semblent avoir une soif de domination des enjeux nationaux. La guerre froide que ces deux centres se livrent nous entrainent dans un marasme politique, économique et social détestable. Il s'agit d'ailleurs moins des habitants des lieux que des systèmes qui les parasitent. Il n'en demeure pas mois que l'institution fondamentale aujourd'hui est l'Assemblée des Représentants du Peuple. Un état de fait qui semble déranger. Il dérange les instigateurs de ladite guerre froide.
Notre Assemblée est au mieux maladroite. Elle est de fait incompétente, impuissante. Son travail est décousu. Ses membres sont dépassés. Nous en convenons tous, y compris les principaux intéressés. Mais elle demeure le roc stable de l'édifice Tunisie. Elle est garante de l'équilibre des pouvoirs, de la Constitution, de la représentative électorale, de la démocratie participative. Les parlements ont été inventés parce que la réflexion collective est toujours plus judicieuse que la tyrannie individuelle, parce qu'il est plus difficile de corrompre une institution qu'une personne, parce que la vie est un sport de groupe, parce que la diversité garantit la représentation de tous et de chacun. Ce collectif est sous attaque. Une campagne orchestrée, voulue, nauséabonde, cherche à creuser un fossé entre les Représentants et le Peuple. Ce lien tenu construit par la démocratie est menacé.
La campagne est grossière mais elle vise l'opinion publique sur les points qui la font réagir. Des mensonges, des manipulations, des diffamations, des rumeurs sont produits et diffusés à tour de bras. On nous montre des images de sièges vides de l'hémicycle de séances où la présence des élus n'est pas utile, on invente un refus des élus de déclarer leurs biens, on ment sur des projets de loi en cours, on attaque la probité d'élus. Corruption, dilapidation des biens publics, abus de pouvoir, avantages inconsidérés, tous les thèmes qui irritent le Tunisien. A la base, rien n'est tout à fait faux, mais tout n'est pas vrai. La recette de base des fakenews. Un outil, une arme qui prend de plus en plus d'ampleur en Tunisie. L'intention étant mauvaise, les victimes sont connues. Nous. Nous sommes poussés à détester nos élus, notre Assemblée. Le choix du pronom possessif étant délibéré et assumé, bien sûr. Cette institution est bien la nôtre, la seule d'ailleurs. Avec le bon comme le mauvais. Alors qui cherche à écarter l'ARP? A nous écarter? Pourquoi? Pour laisser le champ libre à qui et à quoi?
Nous sommes partis sur un malentendu, sur un non déclaré par un jour de janvier 2011. Le seul qui avait dit non, en fait, c'était le peuple. Ce non est resté en travers de la gorge des titulaires du système. Un peuple qui s'est invité à la table du pouvoir, un peuple qu'on refoule aux grilles du palais à travers ses Représentants. La seule issue pour la Tunisie, pour nous, c'est la démocratie. Rien d'autre. Ceux qui se nourrissent de peurs, de fantasmes de coups d'état, de rêves dissolution, d'espoirs d'élections annulées, ne gagneront pas. Le temps est de notre côté. Je reprends une phrase de Kamel Jendoubi, en espérant qu'il me le permettra "Vive la République!"