Ils sont de plus en plus nombreux à crier au scandale. Ceux qui sont à la retraite et ceux qui y sont presque, vivent dans la peur de voir leurs pensions les réduire à une vie de précarité. Dans une Tunisie où le taux d'inflation est au sommet et le pouvoir d'achat considérablement grignoté, l'augmentation des pensions de retraite paraît inéluctable, légitime même, mais en totale inadéquation avec les réformes engagées par le gouvernement et proposées par le FMI… Abdelkader Nasri, secrétaire général de la fédération des retraités, a récemment exprimé un ras-le-bol sur une radio nationale. Il a annoncé qu'une manifestation à travers le pays pourrait être organisée le jour de l'Aïd El Idha en contestation de la non-application par le gouvernement des accords conclus. Les retraités réclament, entre autres, que leurs pensions soient augmentées de 6% conformément à l'accord signé entre le gouvernement et l'UGTT. Des centaines de retraités du secteur public s'étaient déjà rassemblés il y'a quelques mois, à la place Mohamed Ali à Tunis et effectué une marche de protestation jusqu'au siège de la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS) à la capitale. Ils avaient déjà contesté « l'inaction du gouvernement face à leurs revendications ». Les retraités, lésés par la crise des caisses sociales, ont encore appelé les autorités de tutelle à augmenter les pensions de retraite ainsi qu'à rattraper le retard de leur versement. Parallèlement à cette marche un 2ème rassemblement s'était organisé, pour les mêmes raisons à Siliana, devant le siège régional de la CNRPS.
En 2017, un accord avait été trouvé concernant les augmentations des pensions de retraite, du régime général de la CNSS. « Les augmentations seront versées à partir du 20 juin 2017 avec les pensions de ce mois. Il en est de même pour le complément, permettant d'assurer la rétroactivité de 5,65% à partir d'août 2016, et qui sera versé en même temps » avait affirmé un représentant de l'UGTT.
En juillet 2018, un accord a été trouvé entre le gouvernement et l'UGTT en ce qui concerne, cette fois-ci, les pensions de retraite des retraités du secteur public. Le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi a précisé qu'une partie du budget de l'Etat sera transférée à la caisse de retraite, comme prime exceptionnelle aux retraités permettant de soutenir leur pouvoir d'achat. Une décision qui concorde avec le mécontentement exprimé par la Fédération générale des retraités qui a appelé, le 21 juin 2018, ses sympathisants et les retraités en général à entamer un sit-in ouvert devant le ministère des Affaires sociales. Motif de la protestation : « la politique d'appauvrissement et de négligence que mène le gouvernement à leur égard ».
Le problème est donc symptomatique et illustre de la manière la plus crue qui soit la situation financière du pays. Accablé de toute part, le ministre des Affaires sociales a multiplié les apparitions médiatiques se voulant au mieux rassurant et annonçant des mesures jugées palliatives « qui ne résolvent en rien l'origine du problème ni son impact désastreux sur le moral des citoyens ». « Les pensions de retraite de la fonction publique sont versées régulièrement et dans les délais par la CNRPS » avait affirmé, le 19 juillet 2018, Mohamed Trabelsi. Le ministre a précisé que l'augmentation des pensions au titre de l'année 2017 a été jugée illégale par la cour des comptes, car il ne s'agit pas d'augmentations proprement dites mais de réductions d'impôts n'ayant pas été prises en compte dans les cotisations. « Des négociations ont été entamées avec l'UGTT pour trouver une formule permettant de conserver le pouvoir d'achat des retraités concernés. Nous avons convenu, vu que la mesure du crédit d'impôt sera achevée le 31 décembre 2018, de reprendre tout simplement l'autorégulation habituelle des pensions » avait-il expliqué.
La réforme du système de retraite est une priorité, cela est indéniable. Le FMI a évoqué dans son rapport la nécessité d'accélérer la réforme des retraites et de cibler au mieux les mesures sociales. « Le relèvement de l'âge de la retraite et des réformes paramétriques supplémentaires sont essentiels pour contenir les déficits du système de sécurité sociale » indique un communiqué de la Banque mondiale. L'augmentation du nombre de retraités, désormais supérieurs au nombre de cotisants, mais aussi l'augmentation de l'espérance de vie sont des facteurs d'autant plus aggravants de la situation des caisses sociales. Le nombre des retraités du secteur public a augmenté au rythme de plus de 6% alors que le nombre des actifs n'a évolué qu'au rythme de 2,1%. En même temps, la proportion des retraités bénéficiant d'une pension supérieure à 3 fois le Smig est passée de 25,5% à 46,6%, indique une étude menée par le Centre de recherches et d'études sociales (Cres) sur le niveau des pensions de retraite dans le secteur public. Une étude qui a aussi relevé les défaillances au niveau des calculs des pensions, pour dire la complexité du sujet. Si tout le système est évidemment à revoir, il n'en est pas moins que le retraité, celui qui a accumulé des décennies de loyaux services et qui a cotisé toute sa vie pour espérer une retraite paisible, est aujourd'hui dans la tourmente.
Des jeunes qui se jettent dans la mer, des seniors qui paniquent à l'idée de se retrouver pauvres et dépouillés, voici à quoi ressemble la Tunisie 7 ans après la révolution. L'espoir est toujours permis, il est tout ce qui reste de gratuit aujourd'hui…