La recomposition que connait actuellement la scène politique tunisienne à la lumière des nouvelles sphères d'influence et des nouveaux arrangements voit l'absence d'un acteur qui pourrait pourtant avoir un rôle, la gauche tunisienne. La situation est telle que l'on peut affirmer que la gauche tunisienne n'existe pas aujourd'hui, qu'il n'y a pas d'alternative de gauche proposée à une société qui, pourtant, voue une certaine sympathie à ce courant de pensée. L'électeur se trouve aujourd'hui confronté à des choix de droite pure. Il existe une droite religieuse incarnée par Ennahdha qui reste inflexible sur plusieurs points, particulièrement concernant les évolutions sociales, malgré tous les efforts dépensés en communication et en lissage d'image. Il y a également une droite conservatrice bourgeoise incarnée par ce qu'était Nidaa Tounes à un certain moment, puisque aujourd'hui il n'incarne plus rien. Et puis il y a la droite décomplexée composée de partis tels que Afek Tounes, Al Badil Ettounsi et autres. Ils ont au moins le mérite de dire ouvertement que ce sont des partis de droite, mais encore faut-il creuser derrière la phrase creuse de « partis centristes modérés démocratiques progressistes ».
Mais si l'on se tourne à gauche c'est le vide. Il n'existe pas de gauche proposant une réelle alternative mûre pour le pouvoir, il n'y a pas de réelle offre politique de gauche sociale. Ceci n'empêche pas qu'il existe des partis de gauche évidemment. Le Front populaire, contrairement aux autres, bénéficie d'une profondeur régionale qui lui a permis, historiquement, de coller à tous les mouvements sociaux d'avant révolution. Il bénéficie également de l'aura de ses leaders avec à leur tête le martyr Chokri Belaïd entre autres. Mais il s'agit d'un parti, ou plutôt d'une coalition de partis, qui a du mal à se réinventer et qui se complait dans le rôle d'opposant. De toutes manières, c'est ce que ses leaders historiques ont toujours fait. Il existe également un problème profond d'innovation et de renouvellement des têtes de pont. Hamma Hammami l'avoue lui-même. Quoi qu'il en soit, malgré le crédit historique de leaders dont l'intégrité est hors de cause, le Front populaire n'a jamais pu se hisser au rang d'alternative crédible au pouvoir. Il est certain que les envolées lyriques de mauvais goût d'un Ammar Amroussia n'aideront pas à restaurer l'image du Front.
Il y a aussi Al Massar qui a superbement réussi à gâcher le crédit historique du parti Attajdid, vrai père de la gauche tunisienne. Le parti se retrouvait handicapé par des luttes intestines impliquant notamment son secrétaire général et unique représentant au gouvernement, Samir Taïeb. Par ailleurs, Al Massar n'a jamais pu donner l'image d'une alternative au pouvoir et est resté enfermé dans le confort de certains cercles bienpensants qui se réclament de gauche et votent Nidaa Tounes. Par conséquent, Al Massar se retrouve isolé et prend le chemin de partis comme Ettakatol qui ont disparu de la scène politique tunisienne. Conscient de ce vide sidéral, Abid Briki s'est proposé d'être l'initiateur d'un projet politique de gauche. Une gauche qui, selon ses propos, rassemblerait les sensibilités qui existent et qui ne se retrouvent dans aucun parti. Toutefois, il ne s'agit pas de la première tentative de rassemblement de la gauche tunisienne. Des tentatives qui ont toutes échoué, se heurtant très vite au problème d'égo des dirigeants de ce courant dans notre pays. Abid Briki a au moins le mérite de dire qu'il partirait le premier si cela pouvait faciliter les choses. Mais bon…
Au-delà de la crise de confiance que les Tunisiens nourrissent tous les jours par rapport à leur classe politique, la pauvreté de l'offre peut également être l'une des raisons expliquant le faible intérêt à la chose publique. Il est vrai que la gauche tunisienne souffre d'être enfermée dans une caricature ridicule peinte par ses adversaires. Toutefois, elle n'a rien fait de notable pour effacer cette caricature et mûrir suffisamment pour devenir, aux yeux de l'opinion publique, une alternative crédible. Comme un malheur ne vient jamais seul, la majorité des leaders de gauche sont sourds à ce genre de discours et préfèrent, tour à tour, rester dans le rôle de la victime ou du donneur de leçons. C'est bien dommage pour l'historique de la gauche tunisienne, c'est bien dommage pour la Tunisie.