Alors que l'Assemblée nationale constituante (ANC) a entériné les dates des élections qui lui ont été proposées par l'Instance supérieure indépendante pour les élections, une dynamique de rapprochements et de ruptures semblable à la tectonique des plaques terrestres s'est enclenchée. On sait où se situent les lignes de faille. Mais personne n'est en mesure de prévoir si ces mouvements provoqueront des bouleversements majeurs. L'activité «sismique» la plus intense a été enregistrée au centre, ces dernières semaines. Ce sont surtout les îlots de l'archipel du centre gauche qui se sont rapprochés, avec le protocole d'accord signé récemment entre le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL/ou Ettakatol), le Courant démocratique, le Parti du travail tunisien (PTT) et le Mouvement de l'unité populaire (MUP). Ces quatre partis se réclamant du centre gauche se sont engagés à unifier les positions sur les dossiers nationaux et internationaux, intensifier les pourparlers afin de réunir les forces socio-démocrates et préparer un projet politique, économique et social en vue de présenter des listes communes aux prochaines élections. L'objectif de la manœuvre est de créer une coalition centriste capable de séduire un électorat indécis qui ne se retrouve ni dans le discours du mouvement Ennahdha, ni dans celui de Nida Tounes, les deux grands partis donnés favoris par les sondages d'opinion. Ces «ni-ni» représenteraient la majeure partie du corps électoral. «Plus de 60% des Tunisiens disent ne vouloir ni d'un parti religieux, ni d'un retour du RCD. Ils attendent l'émergence d'une grande formation centriste capable de proposer un projet économique et social alternatif face aux partis libéraux Ennahdha et Nida Tounes», souligne Sami Razgallah, membre du bureau politique d'Ettakatol. Autre mouvement de moindre importance au niveau du centre-gauche: la naissance du Front patriotique qui regroupe le parti du travail patriotique et démocratique (PTPD), le parti du mouvement national, le parti Al-Thawabet (constantes) et l'Union des jeunes démocrates. Ce front «social et progressiste» défend notamment l'autonomie de la décision nationale, loin de toute ingérence étrangère, la justice sociale ainsi que les valeurs de la citoyenneté et de la démocratie dans sa dimension participative. Ego et orgueils Toujours au centre, des pourparlers sont en cours entre Al-Joumhouri qui s'est délié de ses anciennes alliances dans le cadre de l'Union pour la Tunisie, Afek Tounes et l'Alliance Démocratique de Mohamed El Hamdi. Les craquements les plus spectaculaires concernent évidemment l'Union pour la Tunisie (UPT). La décision de Nida Tounes de faire cavalier seul lors des prochaines législatives a signé l'arrêt de mort de cette coalition formée au départ par le parti de Béji Caïd Essebsi, du parti Al-Massar (la Voie Démocratique et Sociale), du Parti Républicain (Al-Joumhouri) le Parti Socialiste de Mohamed El Kilani et le Parti du Travail Patriotique et Démocratique (PTPD) de Abderrazak El Hammami. En l'absence de vrais clivages idéologiques au sein de l'UPT, cette fissure est une question d'égo et d'orgueils. Aveuglé par les résultats de certains sondages qui le placent en première position devant Ennahdha, Nida Tounès crouit qu'il est suffisamment fort pour jouer des coudes avec le mouvement Ennahdha, mettant ainsi fin à l'ambition de constituer un pôle de moderniste et progressiste conquérant. Globalement, le paysage politique national s'articule désormais autour de trois pôles à géométrie variable. Il s'agit d'un pôle islamo-conservateur (droite religieuse), représenté par le mouvement Ennahdha, d'un pôle de droite libérale et progressiste, en l'occurrence Nida Tounes. Le troisième pôle est le Front Populaire composé d'une douzaine de partis de gauche et qui ambitionne depuis sa naissance de représenter une troisième voie capable de se frayer une place au soleil aux côtés d'Ennahdha et de Nida Tounes. Le quatrième pôle centriste est en encore en cours de constitution. Il rassemblerait, entre autres, Ettakatol, Al-Joumhouri, Afek Tounes, Al-Massar et l'Alliance Démocratique. L'engouement des partis politiques pour les alliances s'explique en grande partie par les résultats décevants de l'opposition lors des élections du 23 octobre 2011. La logique des rapports de force électoraux exige, en effet, des rassemblements des formations portant les mêmes valeurs. Avec1,5 million de voix pour un corps électoral de plus de 7 millions et plus de 4 millions de votants Ennahdha a remporté haut la main les premières élections libres post-Ben Ali. Presque autant de voix, données à une centaine de petits partis et à des dizaines de listes indépendantes, se sont perdues dans le néant et n'ont aucun représentant à l'Assemblée nationale constituante.