C'est une vidéo qui a bien fait le buzz sur les réseaux sociaux cette semaine, dans la foulée d'un vrai-faux procès de justice, dite transitionnelle, où l'on cherche coûte que coûte à salir la mémoire et l'héritage du leader suprême, le premier président de la République tunisienne et fondateur de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba. Non, pas celle de Sofiène Toubel, ce député qu'on voit en train de jeter de l'argent par centaines de dollars. Ce n'est pas que ça ne devrait pas intéresser le grand public, car un homme public n'a pas de vie privée et il le sait dès le moment qu'il choisit de devenir homme public. La gravité ne consiste pas vraiment dans le fait qu'il ait distribué de l'argent dans un cabaret, Sofiène Toubel reste, malgré tout, un mâle incapable de résister à ses pulsions. La gravité est qu'il s'est fait attraper comme un… amateur ! Comment, dès lors, peut-on donner les « clés du pays » et faire confiance à quelqu'un qui se fait attraper comme un amateur? Comme Toubel, il y en a des dizaines dans notre paysage politique. Sofiène Toubel n'est pas plus diabolique que Mohamed Abbou ou plus coquin que Imed Daïmi, la seule différence est que lui s'est fait prendre et pas les autres.
Non, la vidéo dont je parle est celle où l'on voit des citoyens lambda, des citoyens du peuple, qui chantent les louanges de Zine El Abidine Ben Ali. Filmés au cours de micros-trottoirs dans le cadre d'émissions TV, ces citoyens ont « vidé leur cœur » en avouant à haute voix ce que des millions de personnes n'osent pas dire depuis 2011, à savoir que c'était beaucoup mieux sous Zine El Abidine Ben Ali, avant cette révolution qu'ils qualifient de maudite, avant l'arrivée de ces « khwenjias » qu'ils qualifient de maudits, avant que ces politiciens corrompus, « maudits eux aussi » prennent le pouvoir et mènent le pays à l'abîme. Neuf ans après la révolution, on en est là à maudire les dirigeants politiques, la démocratie et la liberté d'expression. Les citoyens-lambda filmés dans ce micro-trottoir en question en ont ras le bol de la cherté de la vie causée, d'après eux, par les commissionnaires, les intermédiaires, les corrompus et les spéculateurs. « Il n'y avait pas ça sous Zine El Abidine Ben Ali. Il était peut-être voleur, mais il ne volait pas le petit peuple. Ce petit peuple, Ben Ali réussissait à lui donner à manger. Quelques uns parmi les membres de sa famille étaient peut-être des voleurs, mais aujourd'hui, toute la classe politique est composée de voleurs, tous ! ». C'est clair et sans appel ! Ceci n'est pas nouveau, les hommes et femmes de médias le savaient depuis des années, tout comme les instituts de sondage, mais on ne le disait pas. Le courant dit révolutionnaire, la chasse aux sorcières et les mises en examen ne permettaient pas de dire tout haut ce que des millions de gens pensaient tout bas : « on n'en a rien à foutre de Ben Ali et de la révolution, on veut manger. Ben Ali n'est pas notre ennemi, mais les islamistes le sont. » Et puis, on croyait vraiment à la possibilité d'avoir dans ce pays une véritable démocratie, une véritable justice, une véritable liberté d'expression, une véritable intégrité chez nos hommes politiques. Neuf ans après, il s'avère que nous ne sommes jamais tombés aussi bas, en dépit de tout le mal qui a été dit sur Bourguiba et Ben Ali.
Deux événements ont fait que la nostalgie à l'ancien président Zine El Abidine et les anciens régimes Bouguiba-Ben Ali refasse surface et revienne à la une de l'actualité cette semaine. Le procès de Salah Ben Youssef durant lequel les prétendus révolutionnaires tentent de réécrire l'Histoire de la Tunisie en partant de la règle, très juste et maintes fois vérifiée, que l'Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Sauf que voilà, Sihem Ben Sedrine, Rached Ghannouchi et Moncef Marzouki (parents de la justice transactionnelle qu'ils appellent indûment transitionnelle) ne sont pas encore vainqueurs. Nous, laïcs et modernistes, héritiers de Habib Bourguiba, ne sommes pas encore morts pour leur laisser le pays. Nous n'avons pas encore abdiqué, nous sommes encore debout, bien debout. Tant que nous sommes vivants, tant qu'ils ne réécriront pas l'Histoire. Et puis, nous ne sommes pas comme eux pour prendre la poudre d'escampette quand le pays va mal. Nous n'avons nulle part où aller. Et tant que nous sommes encore vivants et debout, tant que Bourguiba restera vivant. Bourguiba restera vivant, malgré les « khwennjias », les révolutionnistes, les youssefistes, les nationalistes et les traitres. Ils ne le saliront pas et ils ne pourront pas réécrire l'Histoire à leur manière. Ils peuvent organiser des dizaines de procès et se faire signer des centaines d'amnistie, ils resteront des traitres et des sales à jamais à nos yeux. Ils pourront toujours se faire bien voir et se faire apprécier par leurs amis allemands, français et américains, mais jamais aux yeux de leurs compatriotes parmi le peuple. Le deuxième événement est ce communiqué de Zine El Abidine Ben Ali, rendu public par son avocat Mounir Ben Salha dans lequel il affirme qu'il « reviendra un jour inchallah ». Ces deux événements ont fait délier plusieurs langues pour chanter les louanges de Ben Ali sur des airs nostalgiques. Ce à quoi les prétendus révolutionnaires ont répondu, comme à leur habitude, par des intimidations, des injures et noms d'oiseaux. Au mieux, ils ont été qualifiés d'idiots, manipulés par les antichambres émiraties et saoudiens.
Neuf ans que cela dure et neuf ans que l'on qualifie Zine El Abidine Ben Ali et son régime de tous les noms. De sanguinaire à dictateur, de voleur à corrompu, on lui a attribué à lui seul la responsabilité de tous les maux du pays, sans jamais voir quoi que ce soit de bon qu'il a réalisé. On l'a même rendu responsable des 300 morts (qualifiés indûment de martyrs, puisque certains parmi eux ne sont que des voleurs et des casseurs) alors que l'essentiel de ces morts est passé sous les balles après la fuite de Zine El Abidine Ben Ali. La vérité est que Ben Ali n'est pas un ange. Il ne l'a jamais prétendu du reste. Il a bien terrorisé et torturé des centaines d'islamistes et autres hommes politiques qui ont osé l'affronter. Mais ceci, tout autant vrai soit-il, ne constitue pas toute la vérité. Les centaines d'islamistes terrorisés et torturés ne sont pas tous victimes et anges, comme ils le prétendent. Il y a bel et bien des islamistes qui n'ont jamais fait un jour de prison, tel Noureddine Bhiri, par exemple. Il y a bel et bien des opposants qui n'ont jamais fait un jour de prison sous Ben Ali, tel Mustapha Ben Jaâfar et Ahmed Néjib Chebbi, par exemple. Moncef Marzouki, contrairement à ce qu'il prétend, n'a pas fait de prison. Il a été maintenu quelques jours en détention provisoire avant de jouir, ensuite, de toute sa liberté, y compris d'enseigner dans une faculté publique, y compris de travailler, comme médecin, dans un hôpital public, y compris de voyager. S'il est resté à l'étranger, c'était son propre choix, il pouvait rentrer à tout moment, il n'était ni condamné, ni recherché. Bon à noter, tout ce beau monde d'opposants vivait, sous Ben Ali, dans de belles villas dans les plus chics des banlieues de Tunis ou de Sousse. En revanche, plusieurs parmi ceux terrorisés et torturés par Ben Ali, ont des choses à se reprocher, tels Hammadi Jebali et Ali Laârayedh. Idem du côté de ceux qui ont pris la poudre d'escampette, tels Salim Ben Hamidane ou Imed Daïmi. Tout comme la Sihem Ben Sedrine qui se faisait payer par des puissances étrangères pour mener son « combat » contre Ben Ali. En aucun cas, ces personnes ne peuvent diriger la justice transitionnelle et en aucun cas, ils ne peuvent réécrire l'Histoire. Ils sont trop impliqués, ils ont trop de choses à se reprocher pour bénéficier de la crédibilité requise pour une telle mission historique. Nous n'avons pas le droit de mentir à nos enfants.
Zine El Abidine Ben Ali n'était pas un ange, mais il n'était pas le diable non plus, comme nous le dessinent ces « révolutionnistes » qui nous appellent à regarder avec les lunettes d'aujourd'hui des événements qui ont eu lieu il y a des décennies. Il a fait beaucoup de mal au pays, mais il lui a fait beaucoup de bien aussi. Il n'était pas toujours juste, mais il a été maintes fois équitable. Une chose est certaine, c'est que son patriotisme et son amour du pays ne peuvent être mis en doute, comme le disent plusieurs de ses détracteurs. Ça ne peut pas être du noir ou du blanc et c'est aux historiens de nous dire le noir et le blanc. Ce n'est pas le rôle des hommes politiques et encore moins des magistrats qui ont, eux aussi et comme beaucoup de monde, des choses à reprocher. Or dans le processus de la justice transitionnelle, tel que dessiné par Ben Sedrine and co, les magistrats ont été mis en touche pour qu'ils ne soient pas poursuivis dans les méfaits qu'on pourrait leur reprocher. Ce que nous enseigne la vidéo évoquée plus haut et les réactions hostiles au vrai-faux procès de Bourguiba est que l'Histoire de la Tunisie ne doit pas être écrite par les vainqueurs de 2011 (qui ne sont plus vainqueurs), ni maintenue telle qu'elle a été écrite par les vainqueurs des périodes Bourguiba-Ben Ali. L'Histoire doit être écrite par les historiens et c'est ainsi, et seulement ainsi, qu'elle rendra justice aux victimes, à Bourguiba, à Ben Ali, à la Tunisie et aux Tunisiens.