L'enseignement et le système éducatif ont constitué, durant des années, la fierté de la Tunisie moderne. Sauf qu'aujourd'hui l'école de la République, acquis précieux de l'Etat tunisien, se retrouve menacée. Ecoles coraniques, écoles juives, séparation entre garçons et filles, suscitent ces derniers temps la polémique et semblent compromettre les bases de l'école républicaine. Le débat autour la réforme du système éducatif en Tunisie n'a jamais cessé, tout autant que la préservation de l'école publique face aux multiples menaces qui la guettent. Et c'est au plein milieu de ce débat que survient l'inauguration d'une école juive pour filles à Djerba, en marge des festivités du pèlerinage de la Ghriba qui se sont déroulées les 22 et 23 mai 2019. S'étalant sur une superficie de 1300 m², cet établissement baptisé Kanfé Yona, dispose d'une capacité d'accueil de 120 filles. « Ce projet a pu voir le jour par la contribution du grand-rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, du président du Consistoire de la région française Alpes-Provence, natif de Djerba, Zvi Ammar ainsi que d'autres donateurs dont la Conférence des Rabbins Européens. Inaugurer une école juive de 1300 m² en terre d'Islam est exceptionnel », indique le conseiller spécial du grand-rabbin de France, Moché Lewin, en parlant de cette école. Dans un pays qui se targue de la laïcité et de l'égalité entre les sexes, voire l'inauguration d'une école religieuse interdisant la mixité est le comble. Cela n'est en rien différent de l'affaire de l'école dite coranique de Regueb. On se rappelle du tollé général ayant suivi cette affaire. Une école inculquant des préceptes religieux à des garçons dans un lieu confiné, sans se conformer aux programmes éducatifs officiels. L'affaire de l'école de Regueb a fait couler beaucoup d'encre. Le directeur de l'école a été traduit devant la justice, et les enfants ont réintégré l'école publique bénéficiant d'un suivi psychologique particulier.
Ainsi, l'inauguration de cette école aurait créé un véritable scandale médiatique, sauf que le timing de l'annonce coïncide avec la fin du mois de Ramadan et la fin de la semaine, où la majorité des familles tunisiennes sont prises par les préparatifs de l'aïd, et les télés sont occupées par la gestion des concurrences et la diffusion des productions ramadanesques.
Cependant, les réactions à cette affaire n'ont pas tardé. Dans ce contexte, le secrétaire général adjoint de l'UGTT, Sami Tahri a indiqué que « l'enseignement en Tunisie est public, unifié et civil. L'école juive des filles est hors la loi et son inauguration par un ministre du gouvernement Chahed est une violation de la loi et de la Constitution ». L'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) a, également réagi à cette polémique par le biais d'un communiqué affirmant son choc après l'inauguration de l'école juive pour filles à Djerba, ainsi que les déclarations du lobbyiste islamiste, Radwan Masmoudi ayant refusé la fermeture des écoles coraniques et appelé à la séparation entre les deux sexes dans les établissements publics. De par son attachement aux valeurs laïques et de l'égalité absolue entre les deux sexes, l'ATFD a appelé les autorités à assumer leurs responsabilités et prendre les mesures nécessaires pour défendre et préserver les écoles publiques mixtes de la République ; considérant qu'elles constituent la garantie contre les tendances extrémistes, radicales et religieuses. L'association a appelé toutes les forces nationales à faire face aux pratiques ségrégationnistes et discriminatoires, rappelant que la mixité dans les écoles et dans l'espace public d'une manière générale constitue un acquis fondamental pour la vie commune basée sur le respect de la différence, de la tolérance dans le cadre de l'égalité. Ce communiqué a fait réagir le lobbyiste islamiste, Radwan Masmoudi qui a démenti l'association affirmant « Je n'ai jamais appelé à la séparation entre les filles et les garçons dans les établissements éducatifs. Je n'ai jamais appelé à la fermeture des écoles mixtes, j'ai juste remis sur le tapis la question de l'ouverture d'écoles privées pour filles ou garçons ». Voilà, une manière déguisée pour relancer son appel à l'ouverture d'école séparant les deux sexes. D'autres pages islamistes ont crié au scandale face à l'inauguration de l'école juive pour filles, critiquant l'approche des deux poids, deux mesures. Elles ont, également considéré, que s'il s'agissait d'une école islamique ou coranique, cela ne serait jamais passé sans que la société civile ne crie au scandale et affiche son indignation.
Il est toutefois important de mentionner que ce n'est pas René Trablesi qui a inauguré cette école. Le ministre n'était, en effet, même pas présent le jour de l'inauguration. D'ailleurs son département souligne bien dans un communiqué rendu public aujourd'hui qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle école mais d'un établissement neuf qui comportera un nombre de vieilles écoles privées impropres à l'exploitation et qui existent déjà dans le quartier juif ajoutant que l'espace n'est pas une école publique ou religieuse où des cours de sciences expérimentales, de mathématiques, de langues, d'histoire-géographie et d'éducation physique sont également assurés.
Il est clair que dès que la religion se mêle à un sujet ou un secteur, les complications et les problématiques font systématiquement surface. La place de la religion ne peut être que dans les lieux de cultes. Vouloir impliquer la religion dans la vie publique et politique ne peut que créer des situations d'amalgame et remettre en cause les acquis et les valeurs républicains.