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Plaidoyer pour une nouvelle diplomatie multivectorielle tunisienne
Publié dans Business News le 19 - 02 - 2020


Un monde chaotique et sans boussole
Le monde d'aujourd'hui est caractérisé par une nouvelle fluidité bousculant l'ensemble des repères traditionnels. Loin de la fin de l'Histoire prônée par Fukuyama, nous assistons à une accélération de l'histoire bousculant l'ensemble des repères traditionnels. Emergence de pôles de puissance aspirant à relativiser l'empreinte géopolitique américaine, retour des logiques de puissance sur fond d'exacerbation des rivalités entre Etats, fragmentation et déclin de l'Occident, retour remarqué de la Russie au Moyen-Orient, en Méditerranée et en Afrique, affirmation de la puissance chinoise dans son voisinage et au-delà, notamment via le projet des routes de la Soie (Belt and Road Initiative) appelé à reconfigurer les équilibres géopolitiques et géoéconomiques, y compris dans notre région, menace terroriste et crime organisé transnational aboutissant à l'hybridation des menaces, retour en force de l'identitaire et du religieux, révolution numérique et digitale, surprises et ruptures stratégiques, cybermenace et cybercriminalité, chocs économiques et financiers, chocs migratoires, bouleversements climatiques, etc. constituent autant de facteurs marquant la fin d'un monde et l'accélération de l'histoire. Nous assistons à une véritable dérégulation stratégique du monde, d'un monde fragmenté, brisé, chaotique vecteur de tensions et de menaces accrues mais également d'opportunités qu'il convient d'être en mesure de saisir avant le concurrent. L'intelligence des situations confère dès lors des avantages concurrentiels décisifs. Il convient de voir loin, large, avant l'autre afin de faire preuve d'agilité et de souplesse.
Le retour des logiques de puissance mettant à rude épreuve les amortisseurs de chocs, la montée des extrêmes droites, le retour en force des peuples profonds et de l'identitaire interpellant les systèmes profonds les gouvernant, etc. révèlent une nouvelle tectonique des plaques et une remise en cause du modèle dominant : la mondialisation. Certains chercheurs et économistes évoquent une dynamique de « démondialisation » et de chocs ravivant les réflexes de repli sur soi, d'isolationnisme et de protectionnisme sur fond de rejet du multilatéralisme. Cette période rappelle à bien des égards les années 1930 précédant la seconde guerre mondiale. Le concept même de démocratie est bousculé et confronté à une crise de sens. L'individu, dilué et ayant perdu ses repères, aspire à retrouver les fondements de son identité : il interpelle ses dirigeants afin d'être entendu et de participer au processus décisionnel au risque de « renverser la table ». Le rejet de « l'Autre » n'est que la manifestation de la résurgence de cette quête. Certains analystes internationaux, à l'instar de Abdelmalek Alaoui, n'hésitent pas à mentionner le risque de « guerre civile mondiale » dopé par les nouvelles technologies de l'information[1]sur fond de manipulation des foules à des fins stratégiques et économiques. Dans ce contexte, la globalisation, bousculée et remise en cause, se grippe, piétine. « La fin de l'histoire » fait place à un retour en force de l'histoire, de la géographie, de l'Homme, bref de la géopolitique.

Le Président de la République tunisienne et le Chef du gouvernement ne peuvent se permettre d'ignorer ces profonds bouleversements et chambardements redessinant les contours d'un monde fluide où la puissance et les rapports de force reprennent leurs droits. Face à ce brouillard et « maquis stratégique », il conviendra, tout en sauvegardant les spécificités ayant toujours fait la singularité de la diplomatie tunisienne, de faire preuve d'audace, de voir loin et large, de tirer le meilleur parti de cette temporalité inédite en mettant l'accent sur l'intelligence des situations et la souplesse combinée à l'agilité. Raisonner comme par le passé, avec une grille d'analyse ne prenant pas en compte l'ensemble de ces dynamiques et ruptures à l'œuvre, exposera la Tunisie à de graves dangers, notamment dans son voisinage. Dans la conjoncture actuelle marquée par une crise économique inédite du fait de son ampleur, obtenir des fonds aux meilleurs taux et capter les flux financiers et économiques s'érigent en impératif de survie. Le moindre faux pas sera sanctionné. Dès lors, une fine lecture des rapports de force mondiaux s'avère vitale. L'isolement et la perte de crédibilité constitueraient de lourds handicaps pour le pays, d'autant plus que Tunis est membre non permanent au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU. Cette position constitue une formidable opportunité à condition de faire preuve de constance, de sérieux, de crédibilité et d'une capacité à déchiffrer les rapports de force mondiaux et régionaux, les ressorts profonds des crises et conflits et préparer sa prise de position en amont assortie de toutes les garanties et précautions inhérentes. Ne surtout pas réagir dans l'urgence en ne prenant pas en considération l'ensemble des maillons d'une problématique soulevée, avoués et non avoués.
Outre un voisinage stratégique tourmenté, volatile, imprévisible, caractérisé par un large spectre de menaces et par une relance de la course aux armements entre le Maroc et l'Algérie, le bassin méditerranéen, espace de concentration de nos échanges économiques, est le reflet des bouleversements politiques et stratégiques caractéristiques de la nouvelle configuration des rapports de puissance mondiaux. L'UE, principal partenaire économique de la Tunisie, semble s'enfoncer un peu plus chaque jour dans la crise risquant à terme la marginalisation au rang de périphérie du continent eurasiatique.
Dans le cadre d'une interview accordée au journal The Economist, le Président Macron souligne : « L'Europe est au bord du précipice. Elle est confrontée à une fragilité extraordinaire pouvant générer une perte du contrôle de sa destinée et risque de disparaître géopolitiquement ». La Tunisie, wagon arrimé via 80% de ses échanges économiques à une locomotive dont l'un des principaux pilotes souligne le risque de disparition, a-t-elle réfléchi, en terme prospectif, aux possibles évolutions de l'UE et de leur impact sur nos relations économiques, sécuritaires, etc. ? Lors de la conférence sur la Sécurité de Munich tenue le 15 février 2020, le président Macron souligne à nouveau : « L'Europe devient un continent qui ne croit pas en son avenir (…) Il y a effectivement un affaiblissement de l'Occident. Il y a 15 ans, nous pensions que nos valeurs étaient des valeurs universelles, qu'elles domineront toujours le monde, et nous sommes dominants en termes de technologie militaire, etc. (…) Mais dans le monde d'aujourd'hui, les valeurs ont changé et de nouvelles puissances sont apparues, en particulier la Chine et la Russie ».
Quel sera l'avenir de la Tunisie si l'Europe devient une périphérie du monde ? Vers quelle Europe allons-nous : élargie ou contractée, à la carte, à géométrie variable ou fédérale ? Dynamique ou minée par les politiques d'austérité et les déficits criants ? Ouverte sur le monde ou forteresse assiégée ? Une Europe incarnant un pôle de puissance en retrouvant son autonomie stratégique, sa liberté de manœuvre et des capacités de défense crédibles, une Europe s'arrimant à la Russie et s'ouvrant sur le monde ou une Europe vassale des Etats-Unis, « junior partner » ? La Tunisie devra se positionner à l'égard de cette Europe en gestation. A cette fin, il conviendra d'être en mesure d'anticiper les futures évolutions qui dessineront l'Europe de demain et de manœuvrer habilement afin de défendre au mieux nos intérêts stratégiques et d'en tirer le meilleur parti.
« L'affolement du monde » et le risque sérieux d'une reconfiguration de la carte régionale posent la problématique de la cohérence d'ensemble de notre posture stratégique et de l'adéquation des moyens. Avons-nous défini cette posture stratégique ou aspirons-nous, tel un bateau ivre, à errer au gré des vagues et de courants de plus en plus puissants ? Un diagnostic stratégique exhaustif isolerait ce qui est d'ordre structurel et ce qui est d'ordre conjoncturel ; ce qui relève des permanences et ce qui relève des mutations. Il proposerait une analyse prospective des transformations susceptibles d'affecter le contexte stratégique tunisien à court, à moyen et à long terme.
Durant les années soixante, Gaston Berger, l'un des fondateurs de la prospective française, soulignait : « plus une voiture roule vite, plus les phares doivent porter loin ». Avons-nous des phares ? Voulons-nous des phares ?
Les paradigmes d'une nouvelle diplomatie
Face à cette accélération de l'histoire et à la montée des incertitudes, la Tunisie doit développer une diplomatie audacieuse, proactive et offensive, notamment sur le plan économique, poursuivant trois objectifs prioritaires :
* Assurer la sécurité nationale du pays ;
* Soutenir le développement économique et social et permettre l'amorce de la sortie de crise ;
* Contribuer, à moyen terme, à l'émergence de la Tunisie sur la scène internationale et lui conférer une capacité de résilience face aux chocs.
A cet effet, réalisme, audace et proactivité doivent guider la diplomatie tunisienne. La Tunisie doit réaffirmer sans ambiguïté les principes ayant fait la singularité de sa diplomatie : respect de la légalité internationale ; non-ingérence dans les affaires intérieures et respect de la souveraineté des autres Etats, etc. Ces principes constituent sa première ligne de défense, le droit international agissant à l'instar d'un égalisateur de puissance. Parallèlement, Tunis devra œuvrer à se constituer un solide dispositif diplomatique, véritable réseau d'alliances », adapté à la nouvelle configuration mondiale et régionale. Il s'agit surtout d'éviter des prises de positions hasardeuses, mal préparées, ne tenant pas compte des rapports de force régionaux et internationaux et de leur évolution en mettant l'accent sur une diplomatie multivectorielle fondée sur la confiance et la crédibilité (respect de la parole donnée).
Par ailleurs, l'anticipation des évolutions de la scène régionale et internationale par la mise en place d'une structure de veille géopolitique s'érige en priorité et en condition sine qua none d'une diplomatie proactive. Cette diplomatie a pour vocation de ne plus subir les changements, les surprises et ruptures stratégiques et de s'affranchir des pesanteurs du présent et de la gestion dans l'urgence. Cette proactivité doit permettre la conceptualisation d'une diplomatie dite « de transformation » en mesure de provoquer les changements conformément aux intérêts stratégiques tunisiens. Sans le heurter, il s'agit de développer une capacité d'action sur l'environnement tunisien afin de le rendre plus réceptif aux priorités stratégiques de la Tunisie. Le volontarisme stratégique est au cœur de cette approche. La diplomatie tunisienne doit être axée sur l'anticipation des ruptures et permettre souplesse et agilité face à un contexte en évolution perpétuelle. Parallèlement, cette diplomatie d'anticipation doit être en mesure de mobiliser, dans des délais très courts, la solidarité régionale et internationale (notamment méditerranéenne) dans l'éventualité d'une catastrophe majeure, à l'image de : une catastrophe écologique maritime accidentelle ou criminelle menaçant les côtes tunisiennes ; un accident nucléaire dans le voisinage tunisien ; un tremblement de terre ou une éruption volcanique dans le canal de Sicile, une pandémie régionale ou mondiale, etc.
Par ailleurs, dans le contexte d'émergence d'un monde polycentrique, la Tunisie, tout en sauvegardant sa relation stratégique à l'Europe et aux Etats-Unis, doit se positionner au mieux au sein de cette nouvelle équation et grammaire géopolitique. Il s'agit, dans le cadre d'une stratégie progressive de diversification, de tirer avantage, sur les plans sécuritaire et économique, de cette nouvelle architecture des puissances en gestation. Ainsi, sans heurter la garantie de sécurité occidentale, il convient d'élargir le spectre de coopération de la Tunisie à l'échelle planétaire en privilégiant la défense de l'intérêt national.
La Tunisie devra également veiller à développer une diplomatie de « networking » ou diplomatie de réseau en mesure de fédérer et de capitaliser sur l'action conjuguée d'une multitude d'acteurs, transcendant ainsi la seule diplomatie d'Etat à Etat. A l'image d'une action militaire, il s'agit, en ayant défini l'objectif final recherché, de concentrer les forces de l'ensemble des acteurs sur l'objectif défini tout en économisant les moyens. Cette orientation permettra le passage d'une diplomatie de représentation vers une diplomatie de transformation et d'innovation. Le label et la marque Tunisie devront être portés et valorisés par cette diplomatie de réseau.
A cet effet, la Tunisie devra s'atteler à accorder la priorité et à développer la diplomatie et l'intelligence économiques. En effet, il est impératif de se doter de capacités d'intelligence et de renseignement économiques afin d'acquérir l'information stratégique permettant de pénétrer les sphères d'influence et les niches et secteurs porteurs. Cette capacité d'intelligence reposera sur la tryptique : savoir (veille et recueil de l'information stratégique, etc.), action (développement de moyens d'influence via le lobbying, la diplomatie d'entreprise, la diplomatie de réseau, etc.) et protection (aptitude à protéger ses entreprises de l'espionnage, surveillance de l'environnement, etc.). Afin d'optimiser sa diplomatie économique et d'élargir son cercle d'influence, la Tunisie devra mettre en place une structure dédiée en mesure de coordonner les actions de collecte, de traitement et de distribution de l'information utile en vue de son exploitation par les acteurs économiques.
Enfin, la Tunisie mettra en œuvre une diplomatie culturelle visant à promouvoir et à valoriser le patrimoine culturel et civilisationnel tunisien afin d'affirmer sa présence et son identité culturelle sur la scène internationale. Promouvoir sa culture à l'extérieur favoriserait une meilleure compréhension mutuelle et un partage d'intérêts communs garantissant une coopération pacifique et une certaine stabilité politique. Par ailleurs, cette diplomatie culturelle, en mettant l'accent sur les domaines scientifiques et technologiques, participera au rayonnement économique de la Tunisie. Par son pouvoir d'attraction et de séduction, elle dynamisera la compétitivité des entreprises tunisiennes tout en dopant l'activité touristique.
L'image de la Tunisie à l'extérieur, pays de tolérance religieuse et d'ouverture, sera ainsi valorisée et favorisera le dialogue des cultures tout en apaisant les tensions. Cette diplomatie culturelle, composante de la « marque Tunisie », s'appuiera sur nos représentations officielles à l'étranger qui devront établir de solides liens avec la société civile des pays où ils sont accrédités afin de développer et d'encourager les activités culturelles, telles que les manifestations culturelles, les programmes bilatéraux, les ouvrages traduits, etc. La Tunisie devra également promouvoir la richesse et le raffinement de sa gastronomie qui, en conciliant tradition et modernité, reflète la diversité du pays et son métissage historique.
S'ouvrir sur de nouveaux horizons
A titre illustratif, en valorisant notre position géographique, il s'agira de se positionner comme voie privilégiée de pénétration vers l'Afrique. La Tunisie devra en ce sens multiplier les relations triangulaires et de co-délocalisation la plaçant en Etat pivot entre l'Asie et l'Afrique. La Tunisie œuvrera à s'ériger en pivot financier et digital, tourné vers la Méditerranée et l'Afrique, captant les flux en provenance du Monde Arabe et de l'Asie. Tunis visera de manière prioritaire le marché africain des NTIC, de l'énergie renouvelable, de la lutte contre la désertification, de l'agroalimentaire, des infrastructures, des services, de la gestion des eaux usées, de la santé, de l'éducation, etc. Enfin, la Tunisie devra déployer une stratégie différenciée s'appuyant sur des Etats pivots : la Côte d'Ivoire et le Sénégal pour l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique du Sud pour l'Afrique Australe et le Rwanda, le Kenya et l'Ethiopie pour l'Afrique de l'Est.
Parallèlement, il conviendra d'initier un changement des mentalités : les atouts de la Tunisie et des opérateurs économiques sont nombreux : encore faut-il développer la diplomatie économique, l'intelligence économique et l'analyse géopolitique et prospective. Le cap doit être fixé et la vigie, c'est-à-dire la veille stratégique identifiant des niches porteuses, développée. Une véritable stratégie à l'égard du continent africain doit être conceptualisée et déclinée en plans d'actions. En appui, le réseau diplomatique devra être étoffé et les dessertes aériennes directes et maritimes vers les pays ciblés mises en place. Il importera également et surtout de développer et de cultiver une approche plus offensive et agressive en acceptant les prises de risque mesurées.
Sur le plan des relations, l'Afrique étant caractérisée par l'importance des relations personnelles, le chef de l'Etat devra porter une vision cohérente et globale, une vision offensive et multiplier les visites officielles en établissant de solides relations d'amitié et de confiance avec ses homologues africains. La visibilité de la Tunisie devra être cultivée. Il en est de même à l'égard de l'horizon asiatique, là où l'avenir du monde va se dessiner.
Avec le déplacement du centre de gravité des rapports de puissance vers l'Asie Pacifique, la Tunisie devra penser et conceptualiser une « grande stratégie » à l'égard de cette région, notamment à l'égard de la Chine, de l'Inde, du Japon, de la Corée du Sud et des pays de l'ASEAN. A cette fin, un Observatoire de l'Asie, impliquant secteur public, opérateurs privés et universitaires devra être institué avec un objectif prioritaire en termes stratégiques : comment se distinguer de nos concurrents et répondre aux intérêts majeurs de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud. Cet impératif passe par une étude et une connaissance fines de « cet autre » en s'affranchissant de notre grille de lecture traditionnelle. Tunis devra veiller à s'intégrer au mieux de ses intérêts au sein du projet chinois des nouvelles routes de la Soie (BRI) et à donner du contenu au MoU signé le 11 juillet 2018 en développant une vision articulant le court et le moyen terme.
Dans un monde chaotique et fragmenté caractérisé par l'émergence de pôles de puissances relativisant l'hégémonie occidentale, la Tunisie devra progressivement « apprendre » à cultiver la multipolarité en déployant une diplomatie réaliste mais audacieuse lui conférant la souplesse et l'agilité d'une goutte d'huile ou d'un félin en mesure de mettre en rivalités les uns et les autres afin de tirer le meilleur parti de cette nouvelle grammaire des relations internationales. Parallèlement, de manière subtile, la Tunisie œuvrera à se positionner en grain de sable (ou le faire croire) susceptible d'enrayer « une grande machine, une manœuvre initiée par des puissances régionales et mondiales » et monnayer ce positionnement afin de retrouver un « poids » et défendre ses intérêts stratégiques et économiques. Il serait peut-être temps de réfléchir à comment se positionner en tant que grain de sable à l'égard du théâtre libyen afin de ne pas se retrouver totalement évincés au profit d'acteurs ayant les moyens de peser sur le terrain et donc de s'imposer dans le cadre des « deals » en cours de négociation.
*Mehdi Taje, expert senior en géopolitique et en méthodologies de l'anticipation, Directeur de Global Prospect Intelligence et Président de l'IVASP (Institut de Veille et d'Analyse Stratégique et Prospective).
[1] « Vers une guerre civile mondiale ? », Abdelmalek Alaoui, La Tribune Afrique, 8 janvier 2019, consultable au lien suivant : https://afrique.latribune.fr/think-tank/editos/2019-01-08/vers-une-guerre-civile-mondiale-edito-802988.html


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