La guerre de succession au sein du mouvement Ennahdha est déclarée depuis un bon moment. Les barons du mouvement se sont lancés dans une campagne virulente pour accéder au trône de Montplaisir, succédant ainsi au bâtisseur mythique du mouvement Rached Ghannouchi, dont le mandat est arrivé à sa fin. Cependant, le fondateur et très redoutable Ghannouchi se laissera-t-il faire simplement? Rien n'est moins sûr… Depuis la révolution de 2011, le mouvement islamiste Ennahdha mène la danse sur la scène politique nationale. Aidé par la rigueur et la discipline indéfectibles de ses bases et de ses structures, le mouvement fondé par Rached Ghannouchi s'est positionné sur l'échiquier politique en Tunisie et se présente comme le parti le plus solide. Bien que le mouvement ait perdu sa position numéro 1 lors des élections de 2014 et régressé en termes de poids électoral en 2019, il reste le parti le plus soudé et uni. C'est dire que le mouvement islamiste n'a pas connu les divisions comme ce fût le cas des autres partis progressistes déchiquetés en mille morceaux dès les premières épreuves. Reste que ce constat n'empêche pas l'existence de tiraillements internes et de grands différends entre les principaux dirigeants et barons d'Ennahdha. Des conflits bien gardés en interne, commencent à sortir au grand public à l'approche de la date fatidique du prochain congrès du mouvement. Pour cause, le président du mouvement n'a plus le droit de se présenter à sa propre succession après avoir écoulé ses deux mandats. Sa place très convoitée doit être occupée par un nouveau leader capable de rassembler autour de lui la majorité des bases. Or, cette tâche n'est pas des plus aisée lorsqu'on connait la position, le rôle et l'emprise de Ghannouchi sur le mouvement.
Dernière manœuvre en date dans ce contexte : « La déclaration de l'Union et du renouveau ». Une déclaration signée par la garde rapprochée du Cheikh et fuitée en discrétion aux médias. Cette déclaration reconnait le rôle incontournable de Ghannouchi sur la scène politique nationale et au sein du mouvement lui-même, mais souligne, également, le conflit interne, les climats négatifs, les erreurs, la perturbation de la ligne politique et la faiblesse du rendement des institutions. Elle dénonce, aussi, les sorties médiatiques de certains dirigeants et l'exposition du linge sale du mouvement au grand public, une démarche qui ne s'inscrit point dans les traditions du mouvement. Cette même déclaration appelle à la nécessité de tenir le congrès dans les dates fixées et de garantir la succession et le renouvellement de la direction, le tout en préservant le rôle de Rached Ghannouchi dans le suivi effectif et efficace de la nouvelle direction. Toujours est-il, il serait difficile pour les observateurs avertis de la scène nationale de croire qu'une telle déclaration signée, réfléchie et rédigée, entre autres, par Abdelkarim Harouni, Rafik Abdessalem ou Noureddine Arbaoui soit dirigée contre Rached Ghannouchi. D'ailleurs, des analystes considèrent que ce groupe constituent finalement « des opposants aux opposants de Rached Ghannouchi ». Dans l'état actuel des choses, il faut bien reconnaitre que le principal chef du mouvement s'opposant à Rached Ghannouchi, qui n'est autre que Abdellatif Mekki, s'en sort parfaitement bien. C'est dire que le cours des évènements lui a été très bénéfique. Depuis sa position à la tête du ministère de la Santé en pleine crise du Covid-19, Abdellatif Mekki a réussi à récolter un grand élan de sympathie, faisant de lui un candidat redoutable pour régner à la tête du mouvement Ennahdha. Soutenu et suivi par « des jeunes du mouvement », il se retrouve en position privilégiée par rapport au Grand Maître ayant perdu de son rayonnement à cause des coups qu'il est en train de recevoir de toutes parts. La présidence du Parlement, a incontestablement usé Rached Ghannouchi, tout comme le bras de fer qu'il est en train de mener avec le président de la République Kaïs Saïed, outre les attaques qu'il est en train de subir de part et d'autres à cause des relations avec l'étranger, beaucoup plus exposés à la lumière des projecteurs.
En tout état de cause, il est clair que Rached Ghannouchi à travers la dissolution du bureau exécutif du mouvement a réussi à gagner du temps. Un temps précieux pour sa garde rapprochée de serrer les rangs et d'organiser la succession. D'ailleurs, des bruits persistants font état de l'entrée sur scène du fils de Rached Ghannouchi, en lui réservant une position au sein de la future direction du mouvement. Quant au fondateur, c'est une « sortie honorable » qu'on lui prépare en lui accordant un poste honorifique de Guide Suprême, et à travers duquel il pourra tenir toutes les ficelles et assurer la véritable succession en vue.