Une ambiance particulière a plané, dimanche soir, au patio de style arabe du palais Ennejma Ezzahra, à Sidi Bou Saïd, à l'occasion du récital de l'ensemble chinois Dragon. Dirige par Wu Wei, un des maîtres du Sheng, un instrument de musique à vent et non moins ancêtre de l'harmonica et de l'accordéon, le groupe a fait preuve d'une élégance du style et une sobriété dans l'exécution. Cette manifestation s'insère dans la 3ème édition de » Musiquat », qui ambitionne de réaliser une rencontre des musiques traditionnelles et néo-traditionnelles. A en juger par les réactions enthousiastes du public présent, cette ambition est en passe d'être atteinte. Les morceaux joués par cet ensemble fondé en 1996 reprennent des classiques du répertoire musical de la Chine dont l'histoire est trois fois millénaire. Bien qu'il soit un soliste virtuose du sheng, le maestro Wei a réussi à synchroniser avec les autres membres du groupe, en particulier la musicienne de la harpe frappée, Mme FU Renchag. La soirée a été divisée en deux chapitres. Le premier était consacré à la musique traditionnelle chinoise et à tout l'univers sinise culturellement incluant la Corée, le Japon, le Vietnam et la Mongolie. Faite de continuité dans l'harmonie de thèmes, des moments graves et des tremolos, cette musique s'apparente pour le profane a une liturgie ou une méditation soufie. Or ces airs n'ont rien de religieux au sens d'une révélation divine. Ici, on n'imite pas et on n'invoque pas un quelconque créateur, mais on tente plutôt de capter un processus de création qui vient de l'être pour l'être. Un être pour soi. L'effort consenti par les artistes et les expressions qu'ils transmettent dans la lecture d'une partition et son exécution ne sont égalées que par la joie que l'on éprouve au regard du résultat auditif et sa convergence avec celle de l'assistance . Les sinologues soutiennent que la pensée chinoise se débat depuis l'ère conservatrice de Confucius (5 siècle avant JC) en passant par l'apport taoïste et plus tard du bouddhisme hindou par la dialectique suivante : faut il changer l'individu pour changer la société ou l'inverse. Une telle dialectique déborde souvent le cadre culturel pour toucher d'autres domaines à caractère politique et social. Le deuxième chapitre a été meublé d'une musique aux confluents du jazz et du classique surtout Claude Debussy et Siegfried Wagner. Mixé aux airs populaires, ce chapitre fournit une parfaite illustration du langage universel de la musique. Les sonorités et les mélodies s'approchent aussi bien de celles berbères dans certaines contrées plates du Maghreb arabe ou des régions montagneuses d'Iran et de Turquie. Il apparaît- et l'expérience du groupe Dragon le démontre – que la tradition musicale, une des composantes du patrimoine n'est revalorisée que si elle venait à être remise en question et passée dans le moule des techniques et des tendances nouvelles. Expurgée de ses fioritures et de son cru explicite, cette musique revisitée pourrait atteindre d'autres paliers du raffinement et de l'esthétique, à vocation universelle.