Des centaines de médecins tunisiens et des internes, en blouses blanches, ont manifesté mardi devant le siège de l'Assemblée nationale constituante (ANC) protestant contre le projet de loi 38-2013 qui prétend à instaurer un service obligatoire minimum de 3 ans dans le secteur public, les obligeant, donc, à travailler dans les zones rurales. « C'est aujourd'hui que le projet de loi doit être éliminé », « oui à la santé publique non au travail obligatoire », « système de santé en galère, médecins et patients en colère », scandaient les manifestants, encadrés, par un dispositif policier important. Ce projet de loi contesté prévoit la mise en place d'un service public obligatoire de trois ans dans les zones rurales pour les médecins se spécialisant et souhaitant par la suite s'installer dans le secteur privé. Fin décembre, le ministre de la Santé, Abdelatif Mekki, avait proposé l'application graduelle de ce projet de loi qui vise à maximiser la couverture des médecins spécialistes dans les zones rurales vu le manque avéré dans ces zones répondant à un impératif de réduction des inégalités entre les zones reculées du pays et les zones littorales. Mais les médecins ne l'ont pas entendu de cette oreille : à leurs yeux, la mesure n'est ni plus ni moins de la poudre aux yeux mais qui ne trompe pas pour autant ceux qui connaissent le dossier. Une mesure populiste, sans plus. Ils allèguent que les gens malintentionnés étaient bien contents de ne pas comprendre le sens profond de leur grève : à leurs yeux, les médecins ne refusent pas de pratiquer dans les zones reculées du pays mais exigent que tous les moyens soient mis à leurs dispositions pour exercer une médecine de qualité (sic). Si les grands hôpitaux de Tunis, manquent de matériel et de moyens, alors imaginez quelle serait la situation pour les hôpitaux des zones reculées. Les objectifs de cette grève, outre le retrait du projet de loi 38-2013, sont une réforme de la santé en Tunisie et le démêlement de la crise du secteur, l'amélioration des conditions de travail et de formation. Il est notoire que les médecins ont toujours joui de conditions de travail très avantageuses et qu'ils ont toujours mené un train de vie confortable, protégés qu'ils sont par une corporation ultra puissante qui dicte ses lois aux gouvernements même du temps de Ben Ali. Rappelez-vous les âpres négociations sur l'assurance maladie. Le conseil de l'ordre des médecins c'est le Vatican disait-on à l'époque. Pharmaciens et médecins, sont à nos yeux, nous citoyens lambda, les gâtés de la haute bourgeoisie et pourtant ils se définissent toujours comme des victimes. L'insurrection du peuple tunisien voulait que la dignité soit le lot de tous les Tunisiens, inclus les habitants des régions intérieures. En refusant de servir dans ces régions, les médecins perpétuent l'injustice sociale et économique de la dictature. Ces fils et filles de bourgeois des ghettos huppés des grandes villes ne veulent pas travailler dans les régions internes alors que des centaines de médecins occidentaux travaillent, eux, dans les régions reculées du Congo, Niger, Nepal etc… gratuitement pour aider les pauvres. Si les médecins tunisiens ne refusent pas, comme ils n'arrêtent pas de l'affirmer, de servir à l'intérieur du pays, alors pourquoi le refusent-ils. La question est quand même assez anecdotique : mettre deux contradictions dans une même formulation et pourtant… pourquoi demander le retrait du projet de loi qui va consacrer l'exercice obligatoire dans les zones reculées que les médecins « ne refusent pas ». Si vraiment le manque de matériel est la raison unique, alors la grève aurait pu porter sur l'ajout d'une clause dans le projet de loi portant sur un impératif de matériel minimal à fournir par le ministère de tutelle selon des critères de capacité, évidents et bien définis. Faut-il rappeler à cette occasion que la Tunisie compte une moyenne de 1,29 médecin pour mille habitants alors que la moyenne mondiale est de 2,5 médecins. On compte aussi 2 lits pour mille alors que l'organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une moyenne de 4,5. Faut-il maintenant poser la question si les médecins encourageraient un sentiment raciste et/ou haineux de quelque nature que ce soit par rapport aux gens moins bien lotis. Des médecins tunisiens qui refusent aujourd'hui de servir, en consacrant un minimum de temps à des régions pauvres et dépourvues, mais qui criaient pendant la révolution, quand des journalistes agitaient devant eux des caméras, vouloir se sacrifier pour les pauvres de leur pays. Souvent dans les couloirs de l'hôpital Charles Nicolle, on a vu des médecins mépriser et malmener à souhait les pauvres bédouins venus du sud, faisant la queue, fatigués et assoiffés. Les médecins les traitaient comme des demi-êtres humains, avant de terminer le service et s'engouffrer dans leurs luxueuses voitures rentrant vers leurs demeures de la banlieue huppée.