Régions: des conditions de travail déplorables, une infrastructure hospitalière désastreuse La grève des résidents et des internes en médecine a été reportée à une date ultérieure, mais les revendications n'ont pas changé. Les jeunes médecins, qui préparent leur spécialité, reprochent aux députés de l'ANC de ne pas les avoir consultés lors de la préparation du projet de loi débattu actuellement à l'Assemblée nationale constituante. Envisagé comme une solution au problème du déficit de spécialistes dans les hôpitaux régionaux, ce projet prévoit d'instaurer un service obligatoire pour les spécialistes fraîchement diplômés de la faculté de Médecine. Ceux qui ont réussi à l'examen du résidanat devront obligatoirement passer trois ans dans un établissement public hospitalier dans une des régions intérieures du pays, avant de s'installer à leur propre compte dans le privé. Sinon, ils devront faire une croix sur l'autorisation d'exercice dispensée par le Conseil de l'ordre des médecins. Outre le fait qu'il dessert davantage les médecins spécialistes plus qu'il ne les arrange, le texte de loi présente déjà quelques incohérences. En effet, le nombre de postes à pourvoir dans les régions sera défini en fonction des besoins des établissements hospitaliers publics, ce qui pénalisera automatiquement les médecins spécialistes diplômés qui n'auront pas été mobilisés et qui devront attendre leur tour, retardant, ainsi, l'échéance de l'obtention de l'autorisation d'exercice. Selma Maâla, résidente en médecine et membre du bureau exécutif du syndicat des internes et des résidents en médecine, est en colère. «On ne nous donne pas le choix. Le projet de loi émane d'une seule partie. Il n'y a pas eu de concertation. Ni le doyen de la faculté de Médecine, ni le Conseil de l'ordre des médecins, ni le syndicat des résidents et des internes en médecine n'ont été consultés. Pourtant, ce texte présente des aberrations. Le texte prévoit de mobiliser les médecins spécialistes à l'intérieur, dans les régions et omet de mentionner le cadre paramédical. Il est impossible pour un spécialiste de travailler sans le personnel paramédical. Les assistants hospitalo-universitaires sont également concernés par ce texte de loi. Or, leur vocation est d'enseigner, d'encadrer... Ils ne pourront pas assurer convenablement leur mi ssion s'ils sont recrutés dans les régions. Il faut comprendre que le recrutement de médecins spécialistes dans les régions ne pourra pas suffire à lui seul à résoudre le problème de la santé en Tunisie. C'est un problème beaucoup plus complexe que cela qui comporte plusieurs composantes, à savoir la gestion, l'infrastructure, les conditions d'exercice... ». Un texte de loi discriminatoire Résident en orthopédie à l'hôpital Mongi-Slim, Karim Abdelatif, est également opposé à un projet de loi qui rend obligatoire l'exercice dans le secteur public : «Je ne trouve pas normal qu'on nous oblige à exercer dans la fonction publique. Après douze ans d'études, en médecine, on doit avoir la possibilité de choisir entre le secteur public ou privé. En ratifiant la convention internationale du travail, la Tunisie s'est engagée à supprimer le travail obligatoire». Résidente en médecine interne, Amira renchérit: «Il s'agit d'un projet de loi qui est discriminatoire. La décentralisation doit concerner tous les corps de métiers et pas seulement les médecins. Par ailleurs, nous ne sommes pas opposés à l'idée d'aller exercer dans les régions sauf que les conditions dans les établissements hospitaliers sont déplorables. L'infrastructure de certains hôpitaux est désastreuse. Il est difficile pour un médecin de travailler dans de telles conditions. Primo, il ne peut pas faire son travail convenablement, secundo, il s'agit d'une source de démotivation. Plusieurs médecins spécialistes, qui ont accepté de travailler à l'intérieur, ont fini par présenter leur démission car ils ne disposaient pas du minimum. Certains établissements sont dépourvus de blocs opératoires indépendants, de laboratoires, d'équipements.... Avant d'appliquer cette loi, il faut déjà améliorer l'infrastructure et doter les établissements régionaux de matériel et d'équipements. Ce projet doit impliquer tous les cadres médicaux et pas seulement les résidents et les internes. A titre d'exemple, les professeurs de médecine devraient faire profiter les hôpitaux régionaux de leur expérience». Au ministère de la Santé, le chef de cabinet du ministre tente de tempérer: «Ce projet n'est pas définitif. Il est actuellement en train d'être débattu et peut faire l'objet d'ajustements». Recommandation de l'OMS Pour faciliter l'intégration du personnel soignant dans les régions reculées, les internes et les résidents en médecine pensent que les gouvernants devraient s'inspirer des recommandations de la politique mondiale de l'OMS qui ont été émises sur ce sujet. Les cadres médicaux ne peuvent travailler dans les régions surnommées « déserts médicaux », que si le ministère de tutelle s'engage à: - Offrir un environnement professionnel sûr et de qualité. - Faciliter la coopération entre personnels de santé de zones mieux pourvues et personnels de zones mal desservies. - Améliorer le moral des soignants en zone rurale, en créant des réseaux professionnels, des associations de professionnels de la santé en milieu rural, des revues de santé rurale, en instaurant des journées de la santé rurale, des récompenses et des distinctions. - Créer une prime de sujétion, une indemnité de logement, la gratuité des transports, des congés payés, etc. - Situer les écoles professionnelles de santé, les campus et les programmes d'internat en médecine de famille hors des capitales et autres grandes villes. -Conditionner l'octroi de bourses d'études à l'obligation de service dans les zones rurales ou reculées. - Veiller à ce que le service obligatoire dans les zones rurales ou reculées soit assorti de mesures incitatives et de soutien appropriées.