Après le rejet du dossier du jeune père d'enfants à plus d'une reprise, la mort a été plus prompte que les secours. Toutes les tentatives pour sauver le mourant ont fait hélas chou blanc! Le malade n'a pu être pris en charge par la Cnam pour une greffe du cœur. Les dépenses y afférentes, estimées à un milliard, ont été jugées exorbitantes pour une trésorerie trébuchante. Pourtant, la vie n'a pas de prix! Et la LTDH se met en colère! Combien l'on aurait été comblé de bonheur si l'on avait eu à annoncer le départ à l'étranger (pour une greffe du cœur) d'un assuré social, un jeune père de famille de 36 ans, ayant mal vécu des semaines durant, artificiellement sous machine au service cardio de l'hôpital de La Rabta. Mais hélas! Voilà qu'aujourd'hui l'on annonce le pire que tout le monde médical voyait venir. Une fin qu'on savait incontournable en l'absence de secours urgents ailleurs, où le ciel est plus clément et les soins sont plus propices à la survie d'un tel mourant (voir notre papier du 10 juin courant intitulé «Sauvez notre père!»). Oui, malheureusement, la mort a été plus rapide que l'administration, ses commissions et ses interminables réunions... L'issue fatale ! Tous les «cœurs tendres» ont vibré et battu la chamade à l'unisson et se sont battus généreusement pour que le cœur voulu de rechange, prît le relais d'un cœur défaillant. Médecins traitants, personnel paramédical, entourage professionnel et familial du souffrant ont crié urbi et orbi et remué ciel et terre pour dégager de la mauvaise galère, le «condamné à mort» sursitaire. Mais hélas! Rien à faire! Etant dit et écrit que le souffrant quitterait son pavillon... les pieds devant au grand dam de ses deux petits enfants, n'ayant pu éviter cette issue fatale, malgré leur émouvant SOS, lancé sur nos colonnes dans une récente livraison. La LTDH proteste ! A la Ligue tunisienne des droits de l'homme, la colère est à son comble. Là, le président de la ligue, M. Abdessattar Ben Moussa, et son équipe semblent décidés à intenter une action en justice contre les officiels ès qualités, ayant eu le pouvoir de mort et de vie sur le citoyen démuni... «Le droit à la vie est un droit universel sacré», nous déclare le président de la LTDH. «Et il est du devoir de l'Etat de réunir les conditions nécessaires de soins pour garantir au citoyen démuni ce sacro-saint droit à la vie. Pour ne pas le laisser mourir, faute de pouvoir le secourir ailleurs, où les conditions sont propices à la survie». M. Abdessattar Ben Moussa ne mâche pas ses mots et désigne du doigt l'Etat qu'il considère entièrement responsable du cas évitable de ce trépas. Le pouvoir de mort et de vie, chez qui ? Cela dit, nous avons cherché à savoir plus sur ce cas, ayant connu une fin de non-recevoir, en frappant à la porte de la Cnam. Là, le porte-parole, M. Younes Ben Neja, nous vire sur le ministère de la Santé publique. Et on nous précise que la Cnam se contente d'instruire ce genre de dossier avant de le transmettre à une commission ad hoc auprès du ministre de la Santé. Cette commission est souveraine et a toute latitude de s'y prononcer. Et à la Cnam d'exécuter les décisions émanant de ladite commission. Nous avons cherché à savoir plus sur ce dossier auprès du président de ladite commission. Nos démarches ont fait chou blanc. Une banque d'organes sans organes Nous nous sommes contentés de tendre l'oreille à M. Anis Klouz, directeur des recherches médicales et conseiller auprès de l'actuel ministre de la Santé. Tout en convenant que la vie n'a pas de prix, notre interlocuteur objecte que la vie a un coût. Pour un budget étatique qui gère la misère, il n'y a pas des milliards à dépenser pour des soins à l'étranger. Pour ce qui concerne la greffe du cœur, M. Klouz nous affirme que notre pays est parfaitement outillé pour assurer le succès de ce genre d'opérations. Mais c'est les «cœurs généreux» qui manquent dans nos banques d'organes de plus en plus appauvries par les campagnes tapageuses menées de temps à autre par certains médias à l'encontre du don d'organes. Avançant, d'une manière amplifiée, comme prétexte le phénomène de trafic d'organes. Ce qui n'a pas été sans dissuader, selon notre interlocuteur, les citoyens les plus généreux de signer, de leur vivant, leur accord pour qu'on dispose de leurs organes. Et au même toubib, nous avons posé la question : qu'a-t-on fait, de l'autre côté, pour contrecarrer cette campagne (à travers une campagne de sensibilisation) et remettre les pendules à l'heure ? Bel élan de solidarité agissante ! L'entourage professionnel du trépassé n'est pas demeuré en reste et semble, lui aussi, déterminé à défendre bec et ongles le sien, par voie de droit, pour parvenir à délimiter les responsabilités de ceux qui ont condamné à mort et exécuté avec sang-froid celui que la science et la chance auraient pu sauver. M. Seifallah El Arfaoui, collègue et ami du défunt et chef de file des organisateurs de l'opération S.O.S., lancée à partir de Séjoumi (lieu d'implantation de leur entreprise industrielle d'attache) au profit du malade, nous déclare dans une colère noire : «En Tunisie, on "distribue" la survie à la tête du client! Que vaut l'argent par rapport à la vie d'un jeune père d'enfants? Si notre collègue avait derrière lui un gros bonnet, un ministre ou un député, toutes les plumes auraient signé l'O.-K. pour la greffe à l'étranger!». A préciser que la collecte d'argent organisée par les intéressés a permis de ramasser la somme de cinquante mille dinars, montant finalement remis à la famille du défunt. Pourtant, la greffe a été promise en super «U» ! Quant à l'équipe médicale qui s'est dépensée pour que son patient soit opéré à l'étranger, elle nous dit avoir tout préparé à distance à l'hôpital Henri Mondor (à Paris). Là, on se disait prêt à admettre le malade en super «U» (super-urgence selon le lexique de la profession). C'est-à-dire qu'on était prêt à lui faire la greffe du cœur dans les quarante-huit heures qui auraient suivi son admission, avec le maximum de chances de réussite. Etant signalé qu'en Europe, les banques d'organes sont bien fournies et bien organisées de manière à ce que toute greffe soit opérée à temps et sans accroc. Parce que les vivants y sont généreux et tiennent à ce que la vie continue à travers eux après leur décès. Le «oui» est la règle, le «non» est l'exception Le médecin traitant du malade ayant rendu le dernier soupir entre ses mains nous a exprimé son profond regret d'avoir vu échouer toutes ses tentatives de sauver la vie à son protégé, malgré les trois dossiers médicaux on ne peut plus convaincants, soumis à la commission par le biais de la Cnam. La cardiologue, tenant à garder l'anonymat, nous a confié que dans certains pays occidentaux, où la vie humaine est tout à fait sacrée, les législations en vigueur autorisent systématiquement la soustraction d'organes auprès des cadavres au profit des banques concernées. Ceci dans la mesure où l'éventuel donneur n'aurait pas, de son vivant, exprimé, par un écrit officiel, son refus de donner quoi que ce soit de ses organes. Au final, l'on ne saurait clore sans dire que la vertu d'une société réside dans la valeur que celle-ci attache à la vie humaine. Et Molière a bien dit que «la naissance n'est rien où la vertu n'est pas». Oui, dans le pays de Molière et ailleurs, même le chat, lorsqu'il est en danger, met en état d'alerte toute une cité! Ici, c'est tant pis, tant que le chat appartient au voisin! Pas besoin d'un dessin...