Les attentats terroristes du Bardo et de Sousse ont été particulièrement lourds. Pas moins de soixante touristes de diverses nationalités y ont péri. Ils se sont soldés également par une autre victime de taille, l'image du ministère de l'Intérieur. Des dysfonctionnements sécuritaires inadmissibles ont caractérisé les deux attentats, particulièrement celui de vendredi dernier à Sousse. Un seul terroriste y a semé la mort à tout vent, plus d'une demi-heure durant, en toute quiétude. La police n'a rappliqué sur les lieux du drame que trente-cinq minutes après le début du carnage. Le terroriste a pu évoluer sur la plage, aux abords des piscines, dans l'enceinte de l'hôtel, et même dans son bloc administratif comme un poisson dans l'eau. Il tuait froidement, méthodiquement, achevant même les blessés, sans être inquiété le moins du monde. Les forces d'intervention rapide pouvaient bien arriver moins de dix minutes après la première balle. Des forces de police devaient en fait intervenir dès les tout premiers coups de feu. Mais elles étaient inexistantes. Etrangement. Et même ceux des policiers qui étaient sur place dans les toutes premières minutes ont été tétanisés. Par le manque d'entraînement, la peur et la débandade éhontée. Les récits des témoins oculaires européens abondent depuis, dans la presse étrangère surtout, sur la bravoure des citoyens tunisiens qui ont fait barrage au terroriste et qui ont sauvé des dizaines de touristes. Ils tranchent net avec les récits faisant état de compromissions, couardise caractérisée et sauve-qui-peut des rares policiers sur les lieux. Et il a fallu que les citoyens neutralisent le terroriste pour qu'il soit abattu par les policiers. Trente-cinq minutes environ après le début du massacre. Le ministre de l'Interieur lui-même a avoué n'avoir été informé que tardivement, sur son portable personnel, par la propriétaire de l'hôtel ! Depuis, les chargés de la com du ministère de l'Intérieur ont beau multiplier les déclarations et les mises au point, l'image et la crédibilité de leur ministère n'en sont pas moins profondément entamées. L'opinion nationale et internationale se posent bien des questions. L'incompétence des policiers voire la compromission de certains d'entre eux sont pointées du doigt. On annonce bien des limogeages de hauts responsables sécuritaires. Rien n'y fait. Le ver est dans le fruit. Les gens doutent. Et font état de leur ressentiment, de leur indignation. Les reportages parus depuis dans la presse tant nationale qu'étrangère en disent long là-dessus. Fourvoyée, incrédule et dégoûtée, l'opinion est bombardée d'informations contradictoires, nourries tant de faits réels irréfutables que de rumeurs et extrapolations ce fait est d'autant plus patent que, durant la première semaine de Ramadan, les descentes et brutalités policières inouïes contre les non-jeûneurs ont défrayé la chronique. On voit volontiers le café dans la bouche du non-jeûneur plutôt que les salves de balles dans les corps des victimes. Depuis la révolution de 2011, la police a bien tenté de renverser la vapeur. Elle a voulu dissiper sa tristement célèbre image qui n'a guère bonne presse, au fil des décennies, auprès du commun des Tunisiens. Le surinvestissement syndicaliste volontiers corporatiste dans divers corps de la police, la guerre des polices, le noyautage des services de police par des partis politiques, sans parler de la police parallèle, n'en finissent pas de ternir l'image déjà profondément écornée des forces de sécurité. Aujourd'hui, la police en est derechef à la case départ. Une case marquée du sceau du doute, de la méfiance et du discrédit. Et il lui faudra bien courir deux fois plus vite pour rester à la même place. Les mesures disciplinaires et cosmétiques circonstancielles n'y pourront guère. Le ministère de l'Intérieur souffre sous nos cieux d'un mal endémique : l'absence d'une doctrine sécuritaire. La faiblesse, la veulerie et la compromission de la classe politique aidant, cela a des effets pervers. Disons-le clairement. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, mais nous n'avons pas de chef de guerre. Encore moins une vision stratégique et un état de veille tactique performants. Quoi qu'on prétende, notre police est encore réactive, lente et naviguant à vue. Le manque de matériel, d'effectifs et d'entraînement en rajoute au drame. Le noyautage des services par des coteries et partis politiques aiguise la méfiance citoyenne non déguisée à l'endroit des forces de sécurité dans leur ensemble. Et les justificatifs et exercices de contorsionnistes après coup alourdissent la facture. Le ministère de l'Intérieur est dans la tourmente, l'opinion est exsangue, les terroristes jubilent.