Qu'est-ce qui nous ressemble le plus et révèle au plus près notre nature profonde ? La façon dont nous nous comportons en temps «normal», tout au long de l'année, lorsque nous devons faire face à nos contraintes matérielles, professionnelles et familiales ? Ou nos comportements pendant les moments de trêve et les intermèdes que constituent les vacances ? Nous définissons-nous le plus à travers notre habitus, nos rythmes de vie effrénés et les sophistications intellectuelles, sociales et matérielles dont nous entourons nos vies, ou par les moments de relâchement, de paresse, d'oisiveté qu'autorisent les vacances ? Difficile à dire en vérité ! On aurait tendance à vouloir affirmer que les vacances constituent une échappatoire aux artifices de la vie habituelle, et un rapprochement de l'individu de sa nature profonde, de ses instincts les plus naturels, de la simplicité de l'être et du paraître, des plaisirs sains, et de la nature tout court (la mer, l'air…). Mais l'on ne peut se montrer aussi catégorique. Car nos vacances nous ressemblent; elles ressemblent à nos préoccupations, nos priorités, nos quêtes et aspirations profondes, mais également à notre âge, notre maturité, nos appartenances et nos ancrages sociaux, notre milieu… et nos moyens ! Si nous avons naturellement tendance à la paresse, les vacances seront l'occasion de laisser libre court à cette tendance, si nous nous lançons perpétuellement des défis dans la vie quotidienne, le farniente aura du mal à vaincre notre propension à la réflexion et au surpassement de soi, et les vacances seront alors l'occasion de faire le point pour mieux rebondir. Mais, en réalité, les choses sont plus complexes que cela : l'oisiveté et le farniente sont parfois des attitudes et des comportements très travaillés, et des luxes très coûteux ! Certains s'ingénient à étudier ces semblants de laisser-aller de façon à ce qu'ils correspondent le mieux à leur standing habituel (certains vernis sont tellement difficiles à abandonner !), ce qui n'est pas de tout repos ! D'autres ne trouvent leur quiétude estivale que dans l'hyperactivité diurne et nocturne ; d'autres encore entretiennent cette hyperactivité comme une espèce de revanche sur les journées de trime, d'ennui, de tracas et de précarité que constitue leur quotidien. D'aucuns recherchent la modernité dans la tradition, la différence dans la similitude et la continuité, l'inusité dans l'habituel. Il en est notamment ainsi de tous ceux, nombreux, qui privilégient les vacances intergénérationnelles comme moyen privilégié de souder le lien social et familial. Et encore ! Même si ces images nous sont familières, elles ne brassent pas la diversité des canaux qu'utilisent les individus pour meubler leurs vacances. Ces dernières sont aussi diverses que nous le sommes ! Difficile à dire si elles sont révélatrices de nos êtres profonds et basiques, ou si elles sont un artifice supplémentaire de la vie moderne, voire un marqueur social des plus ostensibles. En tout cas, les vacances sont — et ont toujours été, du reste — un indicateur pertinent et très parlant sur les oppositions sociales et la confrontation des moyens : lorsque des individus et des familles modestes mais prévoyants passent l'année à s'ingénier à gagner littéralement leur place au soleil (et ce n'est pas une métaphore), d'autres — beaucoup plus nantis — s'ingénient à en faire tout autant, mais différemment et en prenant bien soin de s'éloigner des premiers. Lorsque les premiers trouvent du plaisir et de l'apaisement dans le rapprochement de la nature (et, croient-ils dans le gommage des différences), les seconds s'en rapprochent pour mieux s'en éloigner !