En dépit des premières révélations de l'enquête éventées jusqu'ici, tout porte à croire qu'il faudra attendre quelques semaines, voire quelques mois, pour élucider l'énigme de cette attaque «Qui saura ?», chantait Mike Brant au temps de sa gloire mondiale des années 70. Cet air inoubliable, on ne peut pas ne pas le fredonner dès lors qu'il s'agit de chercher à savoir comment le tragique carnage de Sousse a été perpétré, par qui il a été planifié, combien de complices y sont impliqués et quand et comment ils seront identifiés et arrêtés. C'est l'énigme. Un mystère si profond, si troublant qu'il donnerait du fil à retordre aux plus éminents investigateurs de la CIA et du FBI. C'est que moins de deux semaines après ce drame, l'enquête est toujours avare en révélations concrètes et incontestables. On est donc sur sa faim, au rythme d'éléments éventés qui versent malheureusement dans la contradiction la plus révoltante. Jugez-en : – Alors que l'on savait que l'auteur de l'attentat a agi en solo, voilà que des touristes qui l'ont échappés belle, ce jour-là, parlent à leurs médias de la présence de trois terroristes armés sur les lieux du drame. – Le nombre de balles tirées par l'assaillant est de 180 pour nos enquêteurs, et de 315 pour d'autres sources dont celle d'un média britanique. – Les uns affirment que l'assassin avait agi avec un extraordinaire sang-froid. Affirmation hélas démentie par des rescapés parmi les touristes qui jurent qu'il était crispé et qu'il avait les traits tirés. Qui croire alors ? Que de zones d'ombre ! Toutes ces contradictions ne font évidemment qu'ajouter aux ennuis de nos enquêteurs qui ne regretteront sans doute jamais assez le fait, ô combien vital dans de ce genre d'affaire, que l'auteur de l'attentat aurait dû être neutralisé, vivant. Ç'aurait été vraiment l'idéal rêvé. Ç'aurait été aussi un remake de ce qui se passe notamment aux Etats-Unis où, dans des cas similaires, on se garde d'abattre l'assassin, et cela en se contentant de le mettre K.O., sans le tuer. Car, dans cette guerre planétaire contre le terrorisme, c'est-à-dire contre un ennemi bien structuré et aux stratagèmes variés et diaboliques, éliminer un tueur n'a rien d'un exploit. C'est plutôt un synonyme d'échec, tout simplement parce que l'enquête en pâtit, faute d'aveux et d'informations arrachés à l'auteur de l'attaque. Du coup, les zones d'ombre s'étendent, les recoupements piétinent et les interrogations pleuvent : Seïfeddine Rezgui a-t-il agi tout seul ? Si oui, pourquoi les jihadistes qui nous ont habitués à attaquer en groupes ont-ils opté pour cette «première « ? D'où les ordres ont-ils été donnés ? De Libye ? D'Algérie ? Ou de Tunisie ? Et puis, comment nos forces de sécurité intérieure ont échoué l'autre jour dans la traque de l'un des complices de Seïfeddine, en lui permettant maladroitement de se tirer une balle dans la tête au moment de leur descente dans sa retraite à Ben Guerdane ? Pourquoi ce chou blanc pour le moins qu'on puisse impardonnable ? Et puis, jusqu'à quand ces interminables «navettes terroristes» entre la Tunisie et la Libye ? Ne nous a-t-on pas dit et redit fièrement que nos frontières avec les pays voisins ont été verrouillées, cadenassées, au point qu'on dirait que même pas une mouche ne peut plus y passer ? Toujours volet «modus operandi», à quelle cellule dormante appartient l'auteur du carnage de Sousse ? Serait-ce vraiment à celle de Kairouan, comme le laisse entendre la récente décision de limogeage du patron de la sécurité dans cette région ? Existe-t-il une cellule dormante à Siliana dont Seïfeddine est originaire? Ce dernier a-t-il bénéficié, quelque part, de complicité et de complaisance pour s'offrir plus de trente minutes de cynisme sauvage ? Entre-temps, elle court, elle court, la rumeur, à coups l'on «dit» tantôt fantaisistes, tantôt inimaginables, et il faut être un imbécile pour y croire. C'est pourquoi, de grâce, laissons nos enquêteurs en paix. N'empiétons pas sur leur travail. Bref, faisons-leur confiance et ils ne nous décevront pas. Inchallah.