Malgré l'annonce par le président de la Fédération tunisienne des hôteliers d'une réduction de 30% pour les Tunisiens et l'effort consenti par certains hôteliers en affichant des réductions allant jusqu'à 50% sur les tarifs de la haute saison, cela reste franchement inabordable. Une nuitée dans un quatre étoiles, c'est approximativement entre 75 et 120 dinars et entre 130 et 190 dinars dans un cinq étoiles. Il était une fois une station balnéaire, véritable joyau du tourisme tunisien, destination privilégiée des Tunisiens et des étrangers. Entre la désolation des visiteurs et le désarroi des professionnels, elle offre, aujourd'hui, l'image d'un lieu fantomatique. Yasmine- Hammamet, qui s'étale sur 277 hectares avec un front de mer de quatre kilomètres, était devenue, en peu de temps, l'une des destinations touristiques les plus prisées de Tunisie. Naguère fréquentée en ce mois d'Aoussou par des touristes de toutes nationalités, mais aussi par des Tunisiens, elle offrait en ces jours d'Aïd l'image d'une station déserte sauf par quelques familles tunisiennes venues se prélasser après un rythme ramadanesque harassant et épuisant pour les bourses et la santé. Le soir, les restaurants qui, d'habitude, ne désemplissaient pas, sont à plus de la moitié vides, alors que les cafés connaissent plus d'affluence. « Le congé de l'Aïd a fait revivre la Marina », lance un serveur « et j'espère que cela va continuer pendant les vacances d'été ». Les hôtels sont quasiment désertés. Beaucoup d'hôteliers ont mis la clé sous le paillasson. C'est que l'attentat de Sousse, le 26 juin dernier, qui a fait 38 morts parmi les touristes dont 30 Britanniques, a plombé les réservations, portant le coup de grâce à un secteur déjà chancelant. De Djerba à Tabarka, en passant par Sousse, Monastir, Mahdia, Hammamet, Nabeul, la fermeture des hôtels continue. Chez les professionnels, c'est le désarroi total. Le tourisme est en berne. Ce n'est pas uniquement 7% du PIB, c'est surtout l'image d'un pays naguère paisible et accueillant qui est frappée de plein fouet. C'est aussi un secteur qui fait vivre directement et indirectement près de deux millions de personnes. « D'habitude, en cette période, j'achetais un millier de pains par jour, maintenant je n'en achète qu'une trentaine », confie Hassen Kenani, le directeur d'un hôtel quatre étoiles fréquenté par quelques familles tunisiennes à la faveur d'une réduction frôlant les 50%. « L'attentat de Sousse risque de peser longtemps sur la situation générale du pays», ajoute Hassen Kenani. « Ses répercussions se feront ressentir à tous les niveaux, politique, économique, social et bien entendu sécuritaire », explique-t-il. Quid des Algériens ! « Sur l'autoroute menant de Tunis à Hammamet, je n'ai repéré aucune voiture algérienne, d'habitude nombreuses en cette période », ajoute Kenani. Même son de cloche à la Marina qui gère environ 500 appartements. Les Algériens, dont on annonçait l'arrivée massive, se font encore attendre, assure Monia, une responsable du service commercial. « On n'a pas enregistré beaucoup de réservations au profit de nos voisins de l'Ouest », confie-t-elle. « Par contre, les Tunisiens continuent à venir en famille et les mois de juillet et d'août sont presque complets ». Pourtant les tarifs ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Un studio, c'est 1.500 dinars par semaine, alors qu'un petit appartement de deux pièces revient à 1.800 dinars contre 2.500 dinars pour un trois-pièces. « Mais généralement, on loue à plusieurs pour se partager le coût et en aucun cas c'est toujours moins cher qu'à l'hôtel », assure le gardien en chef, Mansour, qui détient les clés — dans tous les sens du terme — des appartements. Sur l'esplanade qui s'étend sur un kilomètre et demi, ce n'est plus l'affluence habituelle et on n'a pas à se soucier trop pour se garer. Point de voitures estampillées immatriculation algérienne. Des enfants avec leurs parents pédalent, en toute allégresse, des tricycles mis en location pour quelques instants fugaces de bonheur, sans aucun encombrement. Les vendeurs de colliers et de bouquets de jasmin, qui harcèlent les passants, affichent une mine peu joyeuse en cette saison de disette. Alors que les restaurateurs et les cafetiers interpellent les passants les invitant à entrer pour être « bien servis ». Chose rare en d'autres temps. Tourisme intérieur, la cinquième roue de la charrette Malgré l'annonce par le président de la Fédération tunisienne des hôteliers, Radhouane Ben Salah, d'une réduction de 30% pour les Tunisiens et l'effort consenti par certains d'entre eux en affichant des réductions allant jusqu'à 50% sur les tarifs de la haute saison, cela reste franchement inabordable. Une nuitée dans un quatre étoiles, c'est approximativement entre 75 et 120 dinars et entre 130 et 190 dinars dans un cinq étoiles. Faites le compte pour un couple avec deux enfants et vous allez vous retrouver avec une somme au-dessus des bourses de n'importe quel salarié. C'est que le tourisme intérieur a toujours été le parent pauvre du secteur, une sorte de cinquième roue de la charrette. Pourtant, le Tunisien est de nature dépensier, beaucoup plus que les touristes, surtout lorsqu'il est accompagné de ses enfants. Il faut reconnaître qu'il n'y a jamais eu de véritable stratégie pour développer ce créneau qui, selon la ministre du Tourisme, Selma Elloumi, « vient en seconde position, après l'Allemagne et avant la France et l'Italie ». Il est, également, considéré comme « un des fondements du développement du secteur touristique », d'après Radhouane Ben Salah qui table sur « une part variant entre 25 et 35 % à l'horizon 2020 ». Tout le monde en souligne l'importance, mais tout le monde reconnaît qu'il est « mal structuré ». Et tout le monde ne fait pas d'efforts palpables pour encourager les Tunisiens à se ruer de plus en plus vers les hôtels. Il serait intéressant, dans cette optique, que les professionnels fassent un effort supplémentaire, notamment en cette période de crise, pour encourager, par le biais de la promotion, les familles tunisiennes, à visiter les stations touristiques, en appliquant, par exemple et de manière exceptionnelle, les tarifs d'hiver à la haute saison. Cela ne résoudra pas leurs problèmes, mais il atténuera un tant soit peu l'impact de la crise. A-t-on oublié que les salaires des employés sont bouffés par les dépenses quotidiennes, les factures, les frais de scolarité de leurs enfants, les crédits bancaires... ? Et qu'il n'en reste pratiquement plus rien pour les vacances. Et pourtant l'optimisme est permis Nonobstant ce constat amer et acerbe, certains professionnels ne désespèrent pas de la capacité du pays à panser ses blessures et de celle du secteur à se relever. « Et pourtant, je suis optimiste et je garde espoir », affirme Hassen Kenani. Winston Churchill, l'ancien Premier ministre britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, disait qu'un « pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, alors qu'un optimiste voit dans chaque difficulté une opportunité ». Paroles de connaisseur.