La fondation du martyr Mohamed Brahmi commémore, en grande pompe, le 2e anniversaire de son assassinat, survenu le 25 juillet 2013. Entre autres points figurant au menu des festivités, la tenue, hier à Tunis, d'un colloque scientifique sur le thème «Le terrorisme et les exigences de la conjoncture arabe». Manifestation à laquelle a pris part un aréopage d'analystes du phénomène et de spécialistes reconnus pour leur expertise militaro-sécuritaire dans la guerre antiterroriste. Et ce n'est pas un hasard si une telle question est remise sur le tapis. Tout d'abord, parce que la partie organisatrice est née d'un crime odieux ayant ciblé celui dont elle doit, aujourd'hui, son nom, Mohamed Brahmi, un des leaders politiques du pays, mais aussi parce que ce phénomène n'est plus un acte isolé dans le temps et dans l'espace, gagnant ainsi en ampleur et en danger. Une véritable guerre déclarée sur plus d'un front dont la réussite commande forcément une mobilisation citoyenne à large échelle, partant du local et régional jusqu'à l'international. C'est aussi une guerre d'Etat face à un état de guerre confus qui se joue sur un terrain conquis par un ennemi autant invisible que redoutable. Après le mot de bienvenue prononcé par M. Mohamed Saâd, président de ladite fondation, chef d'orchestre de toutes les activités programmées à la mémoire du fondateur du Courant populaire, notre confrère, rédacteur en chef du journal «Al Maghreb», Zied Krichen, s'est focalisé sur l'émergence du salafisme jihadiste, sa genèse, ses apparences et ses agissements en relation avec l'islam politique. Il a tenté de recentrer le débat vers le concept du «jihadisme mondialisé», le qualifiant d'un raz-de-marée sans frontière, tel un monstre ravageur qui emporte tout sur son passage. Il frappe de plein fouet les fondements de nos valeurs, de l'identité humaine, profitant de l'état de faiblesse de l'Etat et de ses institutions. Tout comme il se nourrit du despotisme, de l'assèchement religieux, du cafouillage politique et de la situation chaotique dans laquelle s'enlise le pays. Agir au niveau des réseaux Cela étant, ce jihadisme mondialisé est trop enclin à la déconstruction au profit de l'établissement du califat, un projet de société islamiste soi-disant alternatif qui ne croit jamais à l'Etat moderne. En fait, il s'agit, évoque-t-il, d'une sorte d'idéologie meurtrière à ses risques et périls, faisant grincer les dents des islamistes à l'épreuve du pouvoir, à cause de quoi ces derniers ont perdu la bataille. Et d'ajouter que face à ces jihadistes qui sévissent au-delà des frontières continentales (Daech en exemple), la partie devrait se jouer aussi largement que possible au niveau des réseaux et non des individus. De même, propose-t-il, contrer leur attrait destructeur et éradiquer les poches de la marginalisation. Autant dire, mieux comprendre la sociologie du terrorisme, comme l'a bien expliqué M. Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe des études politiques et sociales de Genève. D'un point de vue psychiatrique, qu'il semble défendre à cor et à cri, l'hydre terroriste constitue un état pathologique, sujet à des analyses cliniques. Son sadisme jusqu'à la mort s'explique aussi par des raisons économiques liées, en partie, au trafic de la contrebande. Pris en exemple, le terroriste algérien recherché «Mokhtar Belmokhtar», surnommé le prince du Marlboro, en référence à son implication dans un réseau mafieux du commerce illicite. Remontant l'histoire du phénomène qui fut son apparition dans les années 70 en Egypte pour prendre son élan en 90 en Algérie, M. Sidaoui a alerté sur certains facteurs déclencheurs, tels que l'absence de l'Etat providence, le capitalisme sauvage, l'exode rural forcé et l'exclusion des jeunes. Autant de traits marquant le profil d'un jeune prêt à se faire exploser. Fragiles et déscolarisés, ces jeunes endoctrinés ne redoutent guère l'enfer au profit de l'éternel Paradis. Ils se donnent même l'illusion de mourir sur l'autel des convoitises divines, pour les beaux yeux des houris attendues sur les divans de l'au-delà. C'est, d'ailleurs, dit-il, sous le charme attrayant d'une telle profession de foi qu'un discours religieux fanatique banalise la violence et tolère l'intolérable. Au nom de l'islam dont ils ne comprennent aucunement les vraies significations pacifiques, les groupes extrémistes se passent pour des escadrons de la mort, comme en Libye, en Irak et en Syrie. Des pays presque ruinés, où le terrorisme trouve refuge. Sous nos cieux, il s'installe au mont Châambi et dans les villes, respectivement appelés terrorisme des grottes et terrorisme de la cité. Alors que chez nos voisins de l'ouest, ce phénomène sévit particulièrement sur les maquis algériens. Par ailleurs, M. Sidaoui a considéré que ce qu'on appelle l'Etat Islamique (Daech) n'est qu'une industrie américaine majoritairement financée par certains pays du Golfe (Qatar, Turquie..). Une stratégie diabolique qui vise la dislocation de la nation arabe pour en faire un nouveau Sykes-Picot. Mur contre trafic Quant au colonel-major Mokhtar Ben Nasr, président du Centre tunisien pour les études de la sécurité intégrale, il semble satisfait de ce qui a été réalisé jusque-là en tant que moyens de lutte antiterrorisme. Etat d'urgence, précautions sécuritaires, cadre législatif et barrière de sécurité sur nos frontières sont de bons pas franchis, mais cela ne suffit guère pour gagner la guerre contre cet ennemi inconnu. A propos des contestataires contre la construction du mur le long des frontières tuniso-libyennes, M. Ben Nasr a relevé que cette entreprise fait partie de la sécurisation de la patrie contre tout risque d'infiltration étrangère. Ceux qui ne l'acceptent pas tolèrent d'une manière ou d'une autre le trafic de la contrebande, l'autre face du terrorisme. Son homologue égyptien, Talâat Mouslim, retraité militaire, a préconisé une stratégie arabe commune de lutte contre le terrorisme. Car, dit-il, ce qui se passe en Libye n'est pas sans impact sur l'Egypte et bien entendu sur le Maghreb arabe.