Plusieurs voix s'élèvent, partout dans le monde, pour réclamer d'organiser autrement la participation citoyenne. Elles disent qu'elles ne sont plus dupes pour croire à une démocratie représentative qui ne représente personne, ni rien, à part la classe dirigeante et ses intérêts. Ces contestataires sont en quête d'une nouvelle forme de gouvernance, de nouveaux mécanismes, qui soient susceptibles de permettre à la société civile d'intervenir de manière active dans la gestion de la chose publique, afin de mettre un terme définitif à cette tutelle qui n'a que trop duré. Cependant, si elle fait l'unanimité, cette revendication reste imprécise quant à l'aspect que devrait revêtir cette intervention populaire dans la vie publique. Le paravent de la «volonté générale» Aux yeux du citoyen, la démocratie n'est intéressante que s'il dispose d'un véritable pouvoir et que sa volonté n'est pas truquée. Dès lors, moins il y a d'intermédiaires entre lui et le pouvoir, plus il a de confiance et mieux la démocratie fonctionne. Dès lors, la démocratie directe présente des avantages indiscutables par rapport à la démocratie représentative qui travestit la volonté des électeurs et crée des oligarchies parasites politiques, médiatiques et financières qui, tout en prétendant exprimer la volonté du peuple et défendre ses intérêts, ne font qu'exercer leur propre volonté pour la préservation de leurs intérêts. C'est ainsi que des pratiques telles que le référendum populaire, à l'instar de celui organisé tout dernièrement en Grèce, ou le droit pour la population de contrôler directement l'usage des fonds publics, pourraient être utilement introduites dans les institutions. Donc, ces oligarchies se camouflent derrière le paravent de la «volonté générale», issue du corps électoral et qui est très souvent méconnue ou carrément trahie, comme on a pu le constater avec Nida Tounès après le verdict des dernières élections. Et même les expériences dans les grandes démocraties occidentales nous montrent à l'évidence que cette démocratie dite représentative est en grande partie un système fictif, une construction intellectuelle et artificielle, prenant appui sur le mythe de la «volonté générale». Ce type de démocratie fait ériger une barrière infranchissable entre le gouvernement et le peuple qui se trouve ainsi écarté de la gestion de la vie sociale et politique. Le corollaire d'une telle pratique c'est, bien évidemment, le recul des libertés et l'instauration de la bureaucratie, de la corruption et de la répression. Nombreux sont ceux qui croient que les peuples, où ils se trouvent et quel que soit le degré de cette exclusion qu'ils subissent, en ont assez de la délégation du pouvoir, de son monopole et de sa personnalisation, ils sont, dorénavant, persuadés qu'un autre monde est possible où la cogestion, voire l'autogestion, c'est-à-dire la gestion populaire, seraient le but, le chemin et le moyen. Démocratie directe Il est grand temps de changer de système de gouvernance, scandent plusieurs d'entre eux, d'autant plus que la crise est générale. Elle est civilisationnelle, économique et financière, avec les conséquences néfastes qu'elle engendre pour les classes laborieuses ; démocratique, avec toutes les limitations qu'elle apporte aux libertés fondamentales ; géostratégique, avec le prélude à la fin de la domination du Nord sur le Sud, et écologique : la crise la plus sévère pour le monde capitaliste, étant l'épuisement des ressources naturelles qui posent la question des énergies alternatives et qui sont à l'origine de l'émergence des groupes terroristes, l'instrument d'exécution du projet du «Nouveau Moyen-Orient». Parmi ces voix assourdissantes qui réclament haut et fort cette alternative, il y a la députée européenne du Front de Gauche français, Marie-Christine Vergiat. « Oui, je fais partie intégrante de ces voix, je suis là où je peux agir, à partir ou grâce, notamment, à mon expérience associative, et en m'appuyant, désormais, sur mon expérience européenne, pour contribuer surtout à un renforcement et à un élargissement du Front de Gauche. Globalement, on constate qu'un nombre croissant de citoyens ne se reconnaît plus dans ceux qui les gouvernent et que cela est également vrai aussi pour nombre de militants politiques. Il y a un fossé qui se creuse entre les représentants, les mandataires et ceux qui n'ont pas de fonction. C'est une crise de la démocratie représentative mais pas seulement », souligne-t-elle. C'est en ces termes qu'elle dépeint la crise entre les masses populaires et ceux qui les gouvernent. Pour elle, il faut recréer du lien entre les citoyens et leurs représentants dans le cadre d'une démocratie réellement délibérative au sein de laquelle il doit y avoir en permanence des échanges entre les élu(e)s et leurs citoyens, les mandats et ceux qu'ils sont censés représenter. « Je n'aime pas beaucoup le terme de démocratie participative. D'une part, parce qu'il a été trop galvaudé; trop d'élu(e)s et non des moindres, ont fait des simulacres de consultation consistant en la présentation de projets déjà ficelés dans lesquelles les citoyens n'avaient pas leur mot à dire. D'autre part, parce qu'il faut aller plus loin et permettre aux citoyens de participer réellement aux processus non seulement de décision mais aussi d'élaboration des politiques », explique la députée. Démocratiser les partis politiques Et pour mieux appuyer ses propos, elle cite ce qui s'est passé en Espagne autour de Podemos (nous pouvons) et qu'elle trouve, de ce point de vue, particulièrement intéressant. Ce mouvement est directement issu des Indignados (les indignés). Son fonctionnement favorise la participation des citoyens. Ils ont élaboré un programme politique réellement participatif reflétant la contribution de milliers de citoyens à partir de dizaines de cercles et d'assemblées populaires. Néanmoins, la critique de Marie-Christine Vergiat ne s'adresse pas seulement aux gouvernements, mais également aux partis politiques qu'elle accuse d'exercer une certaine bureaucratie vis-à-vis de leurs militants. En effet, elle estime que ce qui vaut au moment des élections vaut également pour les partis politiques qui continuent d'avoir des méthodes verticales et descendantes avec des logiques de partis d'avant-garde qui pensent à la place des citoyens, voire même des militant, en leur présentant des programmes clés en main. C'est un signe de défiance à l'encontre des citoyens qui, au bout du compte, ne sont pas considérés comme tels, c'est-à-dire ceux et celles qui s'occupent des affaires de la Cité. « Ce sont ces logiques-là qu'il faut renverser. Cela ne veut pas dire que tout doit disparaître. Je pense au contraire que différentes méthodes, différentes approches peuvent coexister et se renforcer les unes les autres », nuance la militante de gauche. Il en ressort que la participation citoyenne devrait revêtir certaines formes bien définies et ne pas verser dans le populisme, ni laisser la porte grande ouverte devant les associations de toutes sortes de la société civile, ce qui serait encore plus grave. La pléthore d'associations, dont le nombre dépasse les 18 000, devient source d'inquiétudes pour la sécurité de l'Etat, d'autant plus que l'on ignore tout sur les sources de financement d'un bon nombre d'entre elles qui sont soupçonnées de servir des agendas étrangers. Et là, on ne parle pas uniquement des associations dites caritatives, dont les bailleurs de fonds étrangers ainsi que les visées sont facilement identifiées et identifiables, mais aussi de certaines d'entre elles dont les champs d'activité déroutants, et les dénominations faussement rassurantes, essayent d'occulter des projets déstabilisateurs. En témoignent la volonté expresse exprimée par certaines de ces associations qui veulent se substituer au législateur tunisien dans certaines matières, au nom de la conformité aux standards internationaux, ou bien encore la formation assurée aux citoyens, notamment des non-spécialistes, dans des domaines variés, tels que les secteurs médiatique et politique, dans le cadre de workshops. Une participation à travers les institutions La nouvelle mission assignée par le chef du gouvernement, Habib Essid, à son ministre délégué, Kamel Jendoubi, relative à la nature des relations que celui-ci devrait dorénavant entretenir avec les instances constitutionnelles et les composantes de la société civile, reste entourée de flou. Le ministre délégué affirme que la participation de ces dernières à l'action gouvernementale va s'élargir pour s'intéresser à la réflexion sur le modèle alternatif de développement économique et social. Mais, ne faudrait-il pas se contenter de négocier une telle question stratégique seulement avec le partenaire social majeur, à savoir l'Ugtt, et les partis politiques représentés au sein de l'Arp? Ces institutions ne sont-elles pas représentatives du tissu associatif? D'autre part, qu'est-ce qui garantit que ces échanges bilatéraux vont déroger aux précédents et porter leurs fruits? N'y a-t-il pas de risque à ce que ces associations soient récupérées et instrumentalisées par le pouvoir politique? D'ailleurs, ces suspicions ne sont-elles pas indirectement insinuées par Kamel Jendoubi quand il dit que «dans tous les cas de figure, cette approche participative sera bien réelle et effective»? Son insistance sur le caractère réel et effectif de cette participation ne se justifie-t-elle pas par son intention de l'opposer aux pratiques de l'ancien régime qui disposait de ces associations de la société civile pour se farder l'image? L'existence d'un risque de dérive ne se profile-t-elle pas à travers cette opposition tacite? Cependant, et quel que soit le traitement qu'on leur réserve, certains pensent que ces dernières ne devraient en aucun cas participer de manière directe à l'élaboration de questions stratégiques. Cette participation devrait être organisée par le biais des institutions démocratiques, à savoir les syndicats, les partis politiques démocratisés et les conseils municipaux, régionaux et locaux, élus, sur lesquels les électeurs pourraient exercer leur contrôle au moyen des cercles et des assemblées populaires. Ce sont là les conditions sine qua non, d'après plusieurs analystes et observateurs qui en ont assez de ce simulacre de démocratie, pour en instaurer une vraie dans le pays, loin des dogmes de la «volonté populaire» et la «société civile». Ils estiment qu'il faudrait se départir de cette utopie, abandonner ces slogans creux et faire participer les citoyens à la gestion de la chose publique, suivant des méthodes rationnelles et loin du populisme, pour pouvoir réellement changer de système de gouvernance.