Les footballeurs étrangers de la L1 tunisienne sont-ils surpayés ? Le plus qu'ils apportent justifie-t-il des salaires que certains trouvent indécents ? On sait que lorsqu'il s'agit de salaires, les clubs tunisiens ne reculent devant rien : généreux à l'envi, ils n'hésitent pas à servir un Yannick N'djeng ou un Abdelmoumen Djabou un salaire de plus d'une centaine de milliers de dinars. Presque quatre fois le salaire du président de la République. Et ces salaires ne sont pas imposables, SVP. Comme s'ils étaient versés dans le noir. En catimini. Le foot tunisien passe désormais pour un petit Eldorado aux yeux des footballeurs d'origine africaine tout juste moyens. De plus,ceux-ci sont certains de trouver une vitrine incomparable: le championnat de Tunisie est régulièrement élu meilleur championnat en Afrique par la Fédération internationale de l'histoire du football et des statistiques (Iffhs). Il leur sert par conséquent d'excellent tremplin pour espérer rebondir en Europe. Les exemples de joueurs étrangers surcotés foisonnent. A croire que ces bonshommes transforment en or tout ce que touchent leurs pieds. Car il faut avouer que nos clubs se livrent à une course effrénée à ces joueurs, succombant à une dérive inflationniste. C'est à qui offrira le plus: les joueurs et leurs agents savent profiter à fond de cette concurrence aveugle entre grands clubs. Résultat: on serre la ceinture, on prive les catégories des jeunes des conditions les plus élémentaires d'une pratique décente du football sous prétexte que les moyens manquent. Mais, dès qu'il s'agit de renforcer l'équipe seniors, on recrute à tour de bras sans lésiner sur les moyens. Y compris des tocards qui n'ont pas trouvé preneur ailleurs. Nombreux sont les cas des flops «conseillés» par des agents cupides à des clubs qui ne possèdent presque aucune structure fiable de recrutement. Le seul critère, c'est l'enrichissement; «soudoyer» ces structures fait partie des règles du jeu. La colonie ivoirienne en tête S'il est impossible de livrer le chiffre définitif des footballeurs étrangers de L1 pour la saison 2015-2016, puisque les clubs n'ont pas fini leurs emplettes alors que le mercato bat son plein, on peut néanmoins rappeler que, pour la saison précédente, ils étaient 49 joueurs étrangers à militer au sein des seize clubs d'élite. Dix-sept pays étaient représentés : - Côte d'Ivoire : 14 joueurs - Sénégal : 5 - Algérie et Cameroun : 4 - Maroc, Ghana et Mali : 3 - Nigeria et Guinée : 2 - Libye, Mauritanie, RD Congo, France, Brésil, Angola, Burkina Faso, Bénin : 1 Avec 5 joueurs étrangers chacun, l'Espérance Sportive de Tunis et le Club Athlétique Bizertin accueillaient le plus de joueurs étrangers. Plafonner les salaires Nombreux sont les présidents de club qui appellent à plafonner les salaires. En Ligue 1, ces salaires iront de tel montant à tel autre. En Ligue 2, ils iront de tel palier à tel autre. Ils insistent afin que les clubs qui ne respectent pas ces critères soient sanctionnés par le plus simple moyen: les priver des subventions publiques. Certains sportifs vont plus loin encore. Ils tiennent l'exemple algérien comme la voie à suivre. En effet, le 25 juillet dernier, le bureau exécutif de la FAF (fédération algérienne de football) a décidé qu'à partir du prochain mercato (celui de l'hiver 2016), les clubs algériens n'auront plus le droit de recruter de joueur étranger. Jusque-là, les clubs ne pouvaient acheter plus de trois joueurs étrangers et aligner plus de deux joueurs ensemble par match. Des restrictions d'ordre budgétaire, touchant notamment les devises expliquent cette mesure d'interdiction. On cite également «les agissements de quelques agents de joueurs et autres acteurs du football peu scrupuleux» dénoncés dans le communiqué de la FAF et qui sont mus par le seul appât du gain. L'option de la fermeture du marché, on espère en bénéficier d'abord pour assainir des budgets en totale faillite, ensuite pour privilégier le joueur «national» qui trouvera davantage d'espace d'expression. Cela doit se répercuter sur le niveau technique, assurent les fédéraux algériens. «On frôle la xénophobie, malgré tout», s'indignent certaines parties, outrées par ce repli du foot sur ses racines. Mais il n' y a pas que l'Algérie. En Russie, on a décrété en juillet dernier qu'un club ne peut pas aligner plus de six joueurs non nationaux dans un match. Cette mesure a été dénoncée comme étant synonyme d'un repli nationaliste qui risque de faire perdre au foot russe sa compétitivité à l'échelle internationale. La tentation algérienne Comme on peut le constater, le sujet est complexe, la tentation d'imiter l'exemple algérien est trop forte. Malgré tout, les grands clubs de chez nous clament leur droit à recruter à l'étranger et à y mettre le prix afin de battre la concurrence de pays comme l'Egypte ou le Maroc qui investissent sans broncher les moyens pour s'attacher les services de footballeurs africains d'un niveau moyen. «Les meilleurs joueurs ne restent pas sur le Continent, y compris dans la partie Nord. Ils courent en Europe monnayer leur talent», argumentent les clubs, notamment ceux aux budgets les plus importants. Certes, l'interdiction de recrutement des gardiens de but étrangers instaurée par le football tunisien depuis voilà presque une décennie a donné ses fruits. Le nombre de portiers tunisiens de qualité qui ont pu se mettre en avant a singulièrement augmenté. Pourtant, la règle peut-elle être également valable pour un poste aussi crucial et mal nanti au niveau de notre football comme celui d'attaquant ? Une interdiction des footballeurs étrangers est tout ce qu'il y a de plus facile et démagogique, puisqu'on est assuré d'emporter l'adhésion des sportifs du pays. Sauf qu'il faut analyser le phénomène plus subtilement afin d'éviter les relents de xénophobie et empêcher les grosses locomotives du football tunisien qui ont pris l'habitude de s'illustrer sur la scène africaine de sombrer dans une autarcie démagogique, stérile et dont on n'est pas certain qu'elle amènera automatiquement l'équilibre financier et éradiquera la mauvaise gestion. D'autant qu'il y a mille manières de dilapider les deniers publics dans lesquels` puisent allègrement nos clubs. C'est une question de volonté : un fair-play financier assorti de la mise en valeur des dons du footballeur tunisien requiert une stratégie réfléchie au lieu de rejeter tous les torts jusqu'à la diabolisation sur le footballeur étranger lequel, après tout, exerce un travail rémunéré dans un régime professionnel à caractère libéral comme le démontre la liberté des prix et des salaires. Jusqu'à friser la pagaille.