Voir tant de sourires, dans un théâtre plein à craquer, c'est notre rêve quotidien pendant ces festivals où la palme d'or revient d'abord à ce public assidu et connaisseur, ensuite aux responsables de la sécurité pour leur discrétion et leur vigilance, et enfin à toute une équipe qui veille au grain pour que rien ne manque et que tout se passe à merveille... Le bonheur est commun, mais quelquefois l'échec est jeté sur les épaules du responsable. Il n'en reste pas moins vrai que, quel que soit notre angle de vision, ce qui compte, c'est de soutenir la culture, porte-drapeau du pays, assurer l'ouverture d'esprit aux autres cultures et, enfin, donner du bonheur aux gens dans la diversité et dans le respect de l'art. Ils en ont besoin ! La soirée de clôture de Carthage s'inscrit dans cet ordre là. Le choix d'un artiste tunisien pour clore un beau festival est une aubaine que Lotfi Bouchnaq a saisie pour étaler tout son art. Il est vrai qu'il a toujours répondu présent, mais le plus difficile quand on est au sommet, est de le rester. Et ça, c'est un défi constant chez celui qu'on appelle «le géant de la scène» car il sait et il ne cesse de le répéter: «L'essentiel pour un artiste est de laisser des traces dans le temps». Notre société est en mutation et lutte contre vents et marées. L'artiste est, quelque part, impliqué pour que le bateau ne chavire pas. Une première heure de grand art Dans l'orchestre de 50 personnes entre musiciens et chorale, Lotfi a pris l'habitude d'inclure des membres du club «Al Farabi» qui ont toujours su s'acclimater à son monde musical. Face à Abdelhakim Belgayed, chef d'orchestre élégant, seize violons, quatre cellos, une contrebasse, un qanoun, deux luths, une clarinette, un nay, un orgue et cinq percussions titillent les notes de musique, et seize voix de chorale se mêlent aux mélodies. Tout commence par un samaï composé par l'artiste qui traverse la scène, tout de blanc vêtu, portant une «jebba» de soie comme pour affirmer son appartenance. Des feux d'artifice jaillissent à la surprise générale... Que la fête commence! Comme il se doit, un «mouachah» pour ouvrir l'appétit : «Ajabi minka wa minni ajabi», puis un «mawel» et le plus beau des «adwars» composés par Lotfi : «Nessha fi ezz ennoum» signé Adem Fathi et L.Bouchnaq, où l'artiste plane et le public avec. L'écoute est totale et cette tranche du programme se poursuit avec une chanson nouvelle pour saluer l'âme du poète engagé égyptien Ahmed Foued Najm, mort pratiquement à la même période où cette chanson fut enregistrée au Caire, «Itjammaou! itjammaou!»... Une heure de plaisir où on peut affirmer qu'il y a encore de la place pour la musique classique arabe pure où le «dawr» et le «mouachah» ont leur place. De plus, ces styles de chant exigent une maîtrise et un apprentissage où les chanteurs d'aujourd'hui, dans tout le monde arabe, n'osent pas s'aventurer. Il était judicieux de programmer une heure durant, cette haute voltige du chant. La mi-temps des succès Le rythme de «Tebda lahkeya» fait bouger le public, précédée d'un solo de Tawfik Zghonda au qanoun, un compagnon de longue date dont la maîtrise n'a d'égale que sa discrétion. Puis, précédée d'un beau «aroubi», un des plus beaux textes de Adem Fathi : «Khdaani ezzmen wjaani». Puis «Ghalbek ghalbek», un succès très écouté, premier prix du Festival de la chanson de l'époque qui n'a pas pris une ride. Nous étions «dominés» par cette ambiance de pur bonheur quand Lotfi annonce son invité Abdallah Mrayech, le jeune Syrien, pour un duo qui marche bien sur Youtube: «Taht essaytara» (Sous domination)! la différence de tonalité n'a pas permis à cette chanson de nous faire passer le message, mais nous savons qu'elle parle de la condition actuelle des peuples arabes, dominés dans tous les sens par la main du mal sioniste qui ne recule devant rien... Tandis que l'autre message de «Ana mouwaten», lui, est largement passé, tellement ce texte de Mazen Chérif a su se graver dans nos cœurs à tous ! Arrivé minuit, Lotfi ouvre la vanne de ses succès cent fois répétés et le plaisir est toujours là : «Halq El Oued», générique du film à succès de Férid Boughdir, «Ena ma andich zhar», «Nassaya», le tube de Hamadi Ben Othmane, «Inti chamsi inti» et toute la série avec en clôture : «Ritek ma naâref win» signée Ali Louati et Anouar Brahem et «El aïn elli ma tchoufekchi»... chantées par la chorale géante du public qui ne cesse de danser. Que dire enfin, sinon que cette dernière soirée, décalée à cause de la pluie, a trouvé une écoute et un public on ne peut plus fan du grand art. Tout s'est passé comme si la pluie voulait purifier l'air, laver la scène et être de la fête ! Elle est toujours un signe de prospérité... Le travail de Lotfi Bouchnaq donne déjà de son vivant un patrimoine prospère. Longue vie à cet artiste porte-drapeau qui brille comme un joli feu d'artifice pour illuminer la scène, celle de Carthage en l'occurrence, aussi prestigieuse que notre histoire.